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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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blessé, venant à
combattre celle là, elle luy fit incontinent perdre place.
    Me ressouvenant sur ce propos de Mehemed, celuy qui subjugua
Constantinople, & apporta la finale extermination du nom
Grec : je ne sçache point où ces deux passions se trouvent
plus egalement balancées : pareillement indefatigable ruffien,
& soldat. Mais quand en sa vie, elles se presentent en
concurrence l'une de l'autre, l'ardeur querelleuse gourmande
tousjours l'amoureuse ardeur. Et ceste-cy, encore que ce fust hors
sa naturelle saison, ne regaigna pleinement l'authorité souveraine,
que quand il se trouva en grande vieillesse, incapable de plus
soustenir le faix des guerres.
    Ce qu'on recite pour un exemple contraire de Ladislaus Roy de
Naples, est remarquable : Que bon capitaine, courageux, &
ambitieux, il se proposoit pour fin principale de son ambition,
l'execution de sa volupté, & jouïssance de quelque rare beauté.
Sa mort fut de mesme. Ayant rengé par un siege bien poursuivy, la
ville de Florence si à destroit, que les habitants estoient apres à
composer de sa victoire : il la leur quitta pourveu qu'ils luy
livrassent une fille de leur ville dequoy il avoit ouy parler, de
beauté excellente. Force fut de la luy accorder, & garantir la
publique ruine par une injure privée. Elle estoit fille d'un
medecin fameux de son temps : lequel se trouvant engagé en si
villaine necessité, se resolut à une haute entreprinse. Comme
chacun paroit sa fille & l'attournoit d'ornements & joyaux,
qui la peussent rendre aggreable à ce nouvel amant, luy aussi luy
donna un mouchoir exquis en senteur & en ouvrage, duquel elle
eust à se servir en leurs premieres approches : meuble,
qu'elles n'y oublient guere en ces quartiers là. Ce mouchoir
empoisonné selon la capacité de son art, venant à se frotter à ces
chairs esmeuës & pores ouverts, inspira son venin si
promptement, qu'ayant soudain changé leur sueur chaude en froide,
ils expirerent entre les bras l'un de l'autre. Je m'en revay à
Cæsar.
    Ses plaisirs ne luy firent jamais desrober une seule minute
d'heure, ny destourner un pas des occasions qui se presentoient
pour son aggrandissement : Ceste passion regenta en luy si
souverainement toutes les autres, & posseda son ame d'une
authorité si pleine, qu'elle l'emporta où elle voulut. Certes j'en
suis despit : quand je considere au demeurant, la grandeur de
ce personnage, & les merveilleuses parties qui estoient en
luy : tant de suffisance en toute sorte de sçavoir, qu'il n'y
a quasi science en quoy il n'ait escrit : il estoit tel
orateur, que plusieurs ont preferé son eloquence à celle de
Cicero : & luy-mesmes, à mon advis, n'estimoit luy devoir
guere en ceste partie : Et ses deux
Anticatons
,
furent principalement escrits pour contre-balancer le bien dire,
que Cicero avoit employé en son
Caton
.
    Au demeurant, fut-il jamais ame si vigilante, si active, &
si patiente de labeur que la sienne ? Et sans doubte, encore
estoit elle embellie de plusieurs rares semences de vertu, je dy
vives, naturelles, & non contrefaictes. Il estoit
singulierement sobre, & si peu delicat en son manger, qu'Oppius
recite, qu'un jour luy ayant esté presenté à table, en quelque
sauce de l'huyle medecinée, au lieu d'huyle simple, il en mangea
largement, pour ne faire honte à son hoste. Une autrefois, il fit
fouëtter son boulenger, pour luy avoir servy d'autre pain que celuy
du commun. Caton mesme avoit accoustumé de dire de luy, que
c'estoit le premier homme sobre, qui se fust acheminé à la ruyne de
son pays. Et quant à ce que ce mesme Caton l'appella un jour
yvrongne, cela advint en ceste façon. Estans tous deux au Senat, où
il se parloit du fait de la conjuration de Catilina, de laquelle
Cæsar estoit soupçonné, on luy vint apporter de dehors, un brevet à
cachetes : Caton estimant que ce fust quelque chose, dequoy
les conjurez l'advertissent, le somma de le luy donner : ce
que Cæsar fut contrainct de faire, pour eviter un plus grand
soupçon. C'estoit de fortune une lettre amoureuse, que Servilia
soeur de Caton luy escrivoit : Caton l'ayant leuë, la luy
rejetta, en luy disant : Tien yvrongne. Cela, dis-je, fut
plustost un mot de desdain & de colere, qu'un expres reproche
de ce vice : comme souvent nous injurions ceux qui nous
faschent, des premieres injures qui nous viennent à la bouche, quoy
qu'elles ne soyent nullement deuës à ceux à qui nous les attachons.
Joinct que ce vice que Caton luy reproche, est

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