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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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quand
elle a rendu à la raison, la souveraine maistrise de nostre ame,
& l'authorité de tenir en bride nos appetits. Entre lesquels
ceux qui jugent qu'il n'en y a point de plus violens, que ceux que
l'amour engendre, ont cela pour leur opinion, qu'ils tiennent au
corps & à l'ame, & que tout l'homme en est possedé :
en maniere que la santé mesmes en depend, & est la medecine par
fois contrainte de leur servir de maquerellage.
    Mais au contraire, on pourroit aussi dire, que le meslange du
corps y apporte du rabais, & de l'affoiblissement : car
tels desirs sont subjects à satieté, & capables de remedes
materiels. Plusieurs ayans voulu delivrer leurs ames des alarmes
continuelles que leur donnoit cet appetit, se sont servis
d'incision & destranchement des parties esmeuës & alterées.
D'autres en ont du tout abatu la force, & l'ardeur, par
frequente application de choses froides, comme de neige, & de
vinaigre. Les haires de nos aieulx estoient de cet usage :
c'est une matiere tissue de poil de cheval, dequoy les uns
d'entr'eux faisoient des chemises, & d'autres des ceintures à
gehenner leurs reins. Un Prince me disoit, il n'y a pas long temps,
que pendant sa jeunesse, un jour de feste solemne, en la cour du
Roy François premier, où tout le monde estoit paré, il luy print
envie de se vestir de la haire, qui est encore chez luy, de
monsieur son pere : mais quelque devotion qu'il eust, qu'il ne
sceut avoir la patience d'attendre la nuict pour se despouïller,
& en fut long temps malade : adjoustant qu'il ne pensoit
pas qu'il y eust chaleur de jeunesse si aspre, que l'usage de ceste
recepte ne peust amortir : toutesfois à l'advanture ne les
a-il pas essayées les plus cuisantes : Car l'experience nous
faict voir, qu'une telle esmotion, se maintient bien souvent soubs
des habits rudes & marmiteux : & que les haires ne
rendent pas tousjours heres ceux qui les portent. Xenocrates y
proceda plus rigoureusement : car ses disciples pour essayer
sa continence, luy ayants fourré dans son lict, Laïs, ceste belle
& fameuse courtisane toute nuë, sauf les armes de sa beauté
& folastres apasts, ses phyltres : sentant qu'en despit de
ses discours, & de ses regles, le corps revesche commençoit à
se mutiner, il se fit brusler les membres, qui avoient presté
l'oreille à ceste rebellion. Là où les passions qui sont toutes en
l'ame, comme l'ambition, l'avarice, & autres, donnent bien plus
à faire à la raison : car elle n'y peut estre secourue, que de
ses propres moyens : ny ne sont ces appetits là, capables de
satieté : voire ils s'esguisent & augmentent par la
jouyssance.
    Le seul exemple de Julius Cæsar, peut suffire à nous montrer la
disparité de ces appetits : car jamais homme ne fut plus
addonné aux plaisirs amoureux. Le soin curieux qu'il avoit de sa
personne, en est un tesmoignage, jusques à se servir à cela, des
moyens les plus lascifs qui fussent lors en usage : comme de
se faire pinceter tout le corps, & farder de parfums d'une
extreme curiosité : & de soy il estoit beau personnage,
blanc, de belle & allegre taille, le visage plein, les yeux
bruns & vifs, s'il en faut croire Suetone : car les
statues, qui se voyent de luy à Rome ne rapportent pas bien par
tout, à ceste peinture. Outre ses femmes, qu'il changea quatre
fois, sans conter les amours de son enfance, avec le Roy de
Bithynie Nicomedes, il eut le pucelage de ceste tant renommée Royne
d'Ægypte, Cleopatra : tesmoin le petit Cæsarion, qui en
nasquit. Il fit aussi l'amour à Eunoé Royne de Mauritanie :
& à Rome, à Posthumia, femme de Servius Sulpitius : à
Lollia, de Gabinius : à Tertulla, de Crassus, & à Mutia
mesme, femme du grand Pompeius. Qui fut la cause, disent les
historiens Romains, pourquoy son mary la repudia, ce que Plutarque
confesse avoir ignoré. Et les Curions pere & fils reprocherent
depuis à Pompeius, quand il espousa la fille de Cæsar, qu'il se
faisoit gendre d'un homme qui l'avoit fait coqu, & que
luy-mesme avoit accoustumé d'appeller Ægysthus. Il entretint outre
tout ce nombre, Servilia soeur de Caton, & mere de Marcus
Brutus, dont chacun tient que proceda ceste grande affection qu'il
portoit à Brutus : par ce qu'il estoit nay en temps, auquel il
y avoit apparence qu'il fust issu de luy. Ainsi j'ay raison, ce me
semble, de le prendre pour homme extremement addonné à ceste
desbauche, & de complexion tres-amoureuse. Mais l'autre passion
de l'ambition, dequoy il estoit aussi infiniment

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