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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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D'avoir faict naistre de ses soldats tant de
branches Royales : laissant apres sa mort le monde en partage
à quatre successeurs, simples capitaines de son armée, desquels les
descendans ont depuis si long temps duré, maintenans ceste grande
possession. Tant d'excellentes vertus qui estoyent en luy, justice,
temperance, liberalité, foy en ses parolles, amour envers les
siens, humanité envers les vaincus : Car ses moeurs semblent à
la verité n'avoir aucun juste reproche : ouy bien aucunes de
ses actions particulieres, rares, et extraordinaires. Mais il est
impossible de conduire si grands mouvemens, avec les reigles de la
justice. Telles gens veulent estre jugez en gros, par la maistresse
fin de leurs actions. La ruyne de Thebes, le meurtre de Menander,
et du Medecin d'Ephestion : de tant de prisonniers Persiens à
un coup, d'une trouppe de soldats Indiens non sans interest de sa
parolle, des Cosseïens jusques aux petits enfans : sont
saillies un peu mal excusables. Car quant à Clytus, la faute en fut
amendée outre son poix : et tesmoigne ceste action autant que
toute autre, la debonnaireté de sa complexion, et que c'estoit de
soy une complexion excellemment formée à la bonté, et a esté
ingenieusement dict de luy, qu'il avoit de la nature ses vertus, de
la fortune ses vices. Quant à ce qu'il estoit un peu vanteur, un
peu trop impatient d'ouyr mesdire de soy, et quant à ses
mangeoires, armes, et mors, qu'il fit semer aux Indes : toutes
ces choses me semblent pouvoir estre condonées à son aage, et à
l'estrange prosperité de sa fortune. Qui considerera quand et
quand, tant de vertus militaires, diligence, pourvoyance, patience,
discipline, subtilité, magnanimité, resolution, bon-heur, en quoy,
quand l'authorité d'Hannibal ne nous l'auroit appris, il a esté le
premier des hommes : les rares beautez et conditions de sa
personne, jusques au miracle : ce port, et ce venerable
maintien, soubs un visage si jeune, vermeil, et
flamboyant :
    Qualis ubi Oceani perfusus
lucifer unda,
Quem Venus arte alios astrorum diligit ignes,
Extulit os sacrum cælo, tenebrásque resolvit
.
    L'excellence de son sçavoir et capacité : La durée et
grandeur de sa gloire, pure, nette, exempte de tache et
d'envie : et qu'encore long temps apres sa mort, ce fust une
religieuse croyance, d'estimer que ses medailles portassent bonheur
à ceux qui les avoyent sur eux : et que plus de Roys, et
Princes ont escrit ses gestes, qu'autres Historiens n'ont escrit
les gestes d'autre Roy ou Prince que ce soit : Et qu'encores à
present, les Mahumetans, qui mesprisent toutes autres histoires,
reçoivent et honnorent la sienne seule par special privilege. Il
confessera, tout cela mis ensemble, que j'ay eu raison de le
preferer à Cæsar mesme, qui seul m'a peu mettre en doubte du
choix : Et il ne se peut nier, qu'il n'y aye plus du sien en
ses exploits, plus de la fortune en ceux d'Alexandre. Ils ont eu
plusieurs choses esgales, et Cæsar à l'adventure aucunes plus
grandes.
    Ce furent deux feux, ou deux torrens, à ravager le monde par
divers endroits.
    Et velut immissi diversis
partibus ignes
Arentem in silvam, et virgulta sonantia lauro :
Aut ubi decursu rapido de montibus altis
Dant sonitum spumosi amnes, Et in æquora currunt,
Quisque suum populatus iter
.
    Mais quand l'ambition de Cæsar auroit de soy plus de moderation,
elle a tant de mal'heur, ayant rencontré ce vilain subject de la
ruyne de son pays, et de l'empirement universel du monde, que
toutes pieces ramassées et mises en la balance, je ne puis que je
ne panche du costé d'Alexandre.
    Le tiers, et le plus excellent, à mon gré, c'est
Epaminondas.
    De gloire, il n'en a pas à beaucoup pres tant que d'autres
(aussi n'est-ce pas une piece de la substance de la chose,) de
resolution et de vaillance, non pas de celle qui est esguisée par
ambition, mais de celle que la sapience et la raison peuvent
planter en une ame bien reglée, il en avoit tout ce qui s'en peut
imaginer. De preuve de ceste sienne vertu, il en a faict autant, à
mon advis, qu'Alexandre mesme, et que Cæsar : car encore que
ses exploits de guerre, ne soyent ny si frequens, ny si enflez, ils
ne laissent pas pourtant, à les bien considerer et toutes leurs
circonstances, d'estre aussi poisants et roides, et portants autant
de tesmoignage de hardiesse et de suffisance militaire. Les Grecs
luy ont faict cet honneur, sans contredit, de le nommer le premier
homme d'entre eux : mais estre le

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