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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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les secondes, ouy à
l'aventure quelque mot : mais pour diversifier, non pour
oster. Je veux representer le progrez de mes humeurs, et qu'on voye
chasque piece en sa naissance. Je prendrois plaisir d'avoir
commencé plustost, et à recognoistre le train de mes mutations. Un
valet qui me servoit à les escrire soubs moy, pensa faire un grand
butin de m'en desrober plusieurs pieces choisies à sa poste. Cela
me console, qu'il n'y fera pas plus de gain, que j'y ay fait de
perte.
    Je me suis envieilly de sept ou huict ans depuis que je
commençay : Ce n'a pas esté sans quelque nouvel acquest :
J'y ay pratiqué la colique, par la liberalité des ans : leur
commerce et longue conversation, ne se passe aysément sans quelque
tel fruit. Je voudroy bien, de plusieurs autres presens, qu'ils ont
à faire, à ceux qui les hantent long temps, qu'ils en eussent
choisi quelqu'un qui m'eust esté plus acceptable : car ils ne
m'en eussent sçeu faire, que j'eusse en plus grande horreur, des
mon enfance : C'estoit à poinct nommé, de tous les accidens de
la vieillesse, celuy que je craignois le plus. J'avoy pensé
mainte-fois à part moy, que j'alloy trop avant : et qu'à faire
un si long chemin, je ne faudroy pas de m'engager en fin, en
quelque malplaisant rencontre : Je sentois et protestois
assez, qu'il estoit heure de partir, et qu'il falloit trencher la
vie dans le vif, et dans le sein, suyvant la regle des Chirurgiens,
quand ils ont à coupper quelque membre. Qu'à celuy, qui ne la
rendoit à temps, nature avoit accoustumé de faire payer de bien
rudes usures. Il s'en faloit tant, que j'en fusse prest lors, qu'en
dix-huict mois ou environ qu'il y a que je suis en ce malplaisant
estat, j'ay desja appris à m'y accommoder. J'entre desja en
composition de ce vivre coliqueux : j'y trouve dequoy me
consoler, et dequoy esperer : Tant les hommes sont accoquinez
à leur estre miserable, qu'il n'est si rude condition qu'ils
n'acceptent pour s'y conserver.
    Oyez Mæcenas.
    Debilem facito manu,
Debilem pede, coxa,
Lubricos quate dentes :
Vita dum superest, bene est
.
    Et couvroit Tamburlan d'une sotte humanité, la cruauté
fantastique qu'il exerçoit contre les ladres, en faisant mettre à
mort autant qu'il en venoit à sa cognoissance, pour (disoit-il) les
delivrer de la vie, qu'ils vivoient si penible. Car il n'y avoit
nul d'eux, qui n'eust mieux aymé estré trois fois ladre, que de
n'estre pas.
    Et Antisthenes le Stoïcien, estant fort malade, et
s'escriant : Qui me delivrera de ces maux ? Diogenes, qui
l'estoit venu veoir, luy presentant un couteau : Cestuy-cy, si
tu veux, bien tost : Je ne dy pas de la vie, repliqua il, je
dy des maux.
    Les souffrances qui nous touchent simplement par l'ame,
m'affligent beaucoup moins qu'elles ne font la pluspart des autres
hommes : Partie par jugement : car le monde estime
plusieurs choses horribles, ou evitables au prix de la vie, qui me
sont à peu pres indifferentes : Partie, par une complexion
stupide et insensible, que j'ay aux accidents qui ne donnent à moy
de droit fil : laquelle complexion j'estime l'une des
meilleures pieces de ma naturelle condition : Mais les
souffrances vrayement essentielles et corporelles, je les gouste
bien vifvement. Si est-ce pourtant, que les prevoyant autrefois
d'une veuë foible, delicate, et amollie par la jouyssance de ceste
longue et heureuse santé et repos, que Dieu m'a presté, la
meilleure part de mon aage : je les avoy conceuës par
imagination, si insupportables, qu'à la verité j'en avois plus de
peur, que je n'y ay trouvé de mal : Par où j'augmente
tousjours ceste creance, que la pluspart des facultez de nostre
ame, comme nous les employons, troublent plus le repos de la vie,
qu'elles n'y servent.
    Je suis aux prises avec la pire de toutes les maladies, la plus
soudaine, la plus douloureuse, la plus mortelle, et la plus
irremediable. J'en ay desja essayé cinq ou six bien longs accez et
penibles : toutesfois ou je me flatte, ou encores y a-il en
cet estat, dequoy se soustenir, à qui a l'ame deschargée de la
crainte de la mort, et deschargée des menasses, conclusions et
consequences, dequoy la medecine nous enteste. Mis l'effect mesme
de la douleur, n'a pas ceste aigreur si aspre et si poignante,
qu'un homme rassis en doive entrer en rage et en desespoir. J'ay
aumoins ce profit de la cholique, que ce que je n'avoy encore peu
sur moy, pour me concilier du tout, et m'accointer à la mort, elle
le parfera : car d'autant

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