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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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la nostre.
    Post bellator equus positis
insignibus Æthon
It lacrymans, guttisque humectat grandibus ora.
    Comme aucunes de nos nations ont les femmes en commun, aucunes à
chacun la sienne : cela ne se voit-il pas aussi entre les
bestes, et des mariages mieux gardez que les nostres ?
    Quant à la societé et confederation qu'elles dressent entre
elles pour se liguer ensemble, et s'entresecourir, il se voit des
boeufs, des porceaux, et autres animaux, qu'au cry de celuy que
vous offencez, toute la trouppe accourt à son aide, et se ralie
pour sa deffence. L'escare, quand il a avalé l'ameçon du pescheur,
ses compagnons s'assemblent en foule autour de luy, et rongent la
ligne : et si d'aventure il y en a un, qui ait donné dedans la
nasse, les autres luy baillent la queuë par dehors, et luy la serre
tant qu'il peut à belles dents : ils le tirent ainsi au dehors
et l'entrainent : Les barbiers, quand l'un de leurs compagnons
est engagé, mettent la ligne contre leur dos, dressans une espine
qu'ils ont dentelee comme une scie, à tout laquelle ils la scient
et coupent.
    Quant aux particuliers offices, que nous tirons l'un de l'autre,
pour le service de la vie, il s'en void plusieurs pareils exemples
parmy elles. Ils tiennent que la balaine ne marche jamais qu'elle
n'ait au devant d'elle un petit poisson semblable au goujon de mer,
qui s'appelle pour cela la guide : la baleine le suit, se
laissant mener et tourner aussi facilement, que le timon fait
retourner la navire : et en recompense aussi, au lieu que
toute autre chose, soit beste ou vaisseau, qui entre dans
l'horrible chaos de la bouche de ce monstre, est incontinent perdu
et englouty, ce petit poisson s'y retire en toute seureté, et y
dort, et pendant son sommeil la baleine ne bouge : mais aussi
tost qu'il sort, elle se met à le suyvre sans cesse : et si de
fortune elle l'escarte, elle va errant çà et là, et souvent se
froissant contre les rochers, comme un vaisseau qui n'a point de
gouvernail : Ce que Plutarque tesmoigne avoir veu en l'Isle
d'Anticyre.
    Il y a une pareille societé entre le petit oyseau qu'on nomme le
roytelet, et le crocodile : le roytelet sert de sentinelle à
ce grand animal : et si l'Ichneumon son ennemy s'approche pour
le combattre, ce petit oyseau, de peur qu'il ne le surprenne
endormy, va de son chant et à coup de bec l'esveillant, et
l'advertissant de son danger. Il vit des demeurans de ce monstre,
qui le reçoit familierement en sa bouche, et luy permet de
becqueter dans ses machoueres, et entre ses dents, et y recueillir
les morceaux de chair qui y sont demeurez : et s'il veut
fermer la bouche, il l'advertit premierement d'en sortir en la
serrant peu à peu sans l'estreindre et l'offencer.
    Ceste coquille qu'on nomme la Nacre, vit aussi ainsin avec le
Pinnothere, qui est un petit animal de la sorte d'un cancre, luy
servant d'huissier et de portier assis à l'ouverture de ceste
coquille, qu'il tient continuellement entrebaaillee et ouverte,
jusques à ce qu'il y voye entrer quelque petit poisson propre à
leur prise : car lors il entre dans la nacre, et luy va
pinsant la chair vive, et la contraint de fermer sa coquille :
lors eux deux ensemble mangent la proye enfermee dans leur
fort.
    En la maniere de vivre des tuns, on y remarque une singuliere
science de trois parties de la Mathematique. Quant à l'Astrologie,
ils l'enseignent à l'homme : car ils s'arrestent au lieu où le
solstice d'hyver les surprend, et n'en bougent jusques à l'equinoxe
ensuyvant : voyla pourquoy Aristote mesme leur concede
volontiers ceste science. Quant à la Geometrie et Arithmetique, ils
font tousjours leur bande de figure cubique, carree en tout sens,
et en dressent un corps de bataillon, solide, clos, et environné
tout à l'entour, à six faces toutes esgalles : puis nagent en
ceste ordonnance carree, autant large derriere que devant, de façon
que qui en void et compte un rang, il peut aisément nombrer toute
la trouppe, d'autant que le nombre de la profondeur est esgal à la
largeur, et la largeur, à la longueur.
    Quant à la magnanimité, il est malaisé de luy donner un visage
plus apparent, qu'en ce faict du grand chien, qui fut envoyé des
Indes au Roy Alexandre : on luy presenta premierement un cerf
pour le combattre, et puis un sanglier, et puis un ours, il n'en
fit compte, et ne daigna se remuer de sa place : mais quand il
veid un Lyon, il se dressa incontinent sur ses pieds, monstrant
manifestement qu'il declaroit

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