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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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aux fins de
n'engendrer du trouble en l'obeyssance des loix et coustumes de
leur pays.
    Platon traitte ce mystere d'un jeu assez descouvert. Car où il
escrit selon soy, il ne prescrit rien à certes. Quand il fait le
legislateur, il emprunte un style regentant et asseverant : et
si y mesle hardiment les plus fantastiques de ses inventions :
autant utiles à persuader à la commune, que ridicules à persuader à
soy-mesme : Sçachant combien nous sommes propres à recevoir
toutes impressions, et sur toutes, les plus farouches et
enormes.
    Et pourtant en ses loix, il a grand soing, qu'on ne chante en
publiq que des poësies, desquelles les fabuleuses feintes tendent à
quelque utile fin : estant si facile d'imprimer touts
fantosmes en l'esprit humain, que c'est injustice de ne les paistre
plustost de mensonges profitables, que de mensonges ou inutiles ou
dommageables. Il dit tout destrousseement en sa
Republique
, que pour le profit des hommes, il est souvent
besoin de les piper. Il est aisé à distinguer, les unes sectes
avoir plus suivy la verité, les autres l'utilité, par où celles cy
ont gaigné credit. C'est la misere de nostre condition, que souvent
ce qui se presente à nostre imagination pour le plus vray, ne s'y
presente pas pour le plus utile à nostre vie. Les plus hardies
sectes, Epicurienne, Pyrrhonienne, nouvelle Academique, encore sont
elles contrainctes de se plier à la loy civile, au bout du
compte.
    Il y a d'autres subjects qu'ils ont belutez, qui à gauche, qui à
dextre, chacun se travaillant d'y donner quelque visage, à tort ou
à droit. Car n'ayans rien trouvé de si caché, dequoy ils n'ayent
voulu parler, il leur est souvent force de forger des conjectures
foibles et foles : non qu'ils les prinssent eux mesmes pour
fondement, ne pour establir quelque verité, mais pour l'exercice de
leur estude.
Non tam id sensisse, quod dicerent, quam exercere
ingenia materiæ difficultate videntur voluisse
.
    Et si on ne le prenoit ainsi, comme couvririons nous une si
grande inconstance, varieté, et vanité d'opinions, que nous voyons
avoir esté produites par ces ames excellentes et admirables ?
Car pour exemple, qu'est-il plus vain, que de vouloir deviner Dieu
par nos analogies et conjectures : le regler, et le monde, à
nostre capacité et à nos loix ? et nous servir aux despens de
la divinité, de ce petit eschantillon de suffisance qu'il luy a
pleu despartir à nostre naturelle condition ? et par ce que
nous ne pouvons estendre nostre veuë jusques en son glorieux siege,
l'avoir ramené ça bas à nostre corruption et à nos
miseres ?
    De toutes les opinions humaines et anciennes touchant la
religion, celle là me semble avoir eu plus de vray-semblance et
plus d'excuse, qui recognoissoit Dieu comme une puissance
incomprehensible, origine et conservatrice de toutes choses, toute
bonté, toute perfection, recevant et prenant en bonne part
l'honneur et la reverence, que les humains luy rendoient soubs
quelque visage, soubs quelque nom et en quelque maniere que ce
fust.
    Jupiter omnipotens rerum,
regúmque, Deumque,
Progenitor, genitrixque.
    Ce zele universellement a esté veu du ciel de bon oeil. Toutes
polices ont tiré fruit de leur devotion : Les hommes, les
actions impies, ont eu par tout les evenements sortables. Les
histoires payennes recognoissent de la dignité, ordre, justice, et
des prodiges et oracles employez à leur profit et instruction, en
leurs religions fabuleuses : Dieu par sa misericorde daignant
à l'adventure fomenter par ces benefices temporels, les tendres
principes d'une telle quelle brute cognoissance, que la raison
naturelle leur donnoit de luy, au travers des fausses images de
leurs songes : Non seulement fausses, mais impies aussi et
injurieuses, sont celles que l'homme a forgé de son invention.
    Et de toutes les religions, que Sainct Paul trouva en credit à
Athenes, celle qu'ils avoyent dediée à une divinité cachée et
incognue, luy sembla la plus excusable.
    Pythagoras adombra la verité de plus pres : jugeant que la
cognoissance de ceste cause premiere, et estre des estres, devoit
estre indefinie, sans prescription, sans declaration : Que ce
n'estoit autre chose, que l'extreme effort de nostre imagination,
vers la perfection : chacun en amplifiant l'idée selon sa
capacité. Mais si Numa entreprint de conformer à ce project la
devotion de son peuple : l'attacher à une religion purement
mentale, sans object prefix, et sans meslange materiel :

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