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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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souvent en ses livres,
comme agité d'une divine fureur, et forcé de la verité. Non non,
nous ne sentons rien, nous ne voyons rien, toutes choses nous sont
occultes, il n'en est aucune de laquelle nous puissions establir
quelle elle est : Revenant à ce mot divin,
Cogitationes
mortalium timidæ, Et incertæ adinventiones nostræ, Et
providentiæ
. Il ne faut pas trouver estrange, si gens
desesperez de la prise n'ont pas laissé d'avoir plaisir à la
chasse, l'estude estant de soy une occupation plaisante : et
si plaisante, que parmy les voluptez, les Stoïciens defendent aussi
celle qui vient de l'exercitation de l'esprit, y veulent de la
bride, et trouvent de l'intemperance à trop sçavoir.
    Democritus ayant mangé à sa table des figues, qui sentoient le
miel, commença soudain à chercher en son esprit, d'où leur venoit
cette douceur inusitee, et pour s'en esclaircir, s'alloit lever de
table, pour voir l'assiette du lieu où ces figues avoyent esté
cueillies : sa chambriere, ayant entendu la cause de ce
remuëment, luy dit en riant, qu'il ne se penast plus pour cela, car
c'estoit qu'elle les avoit mises en un vaisseau, où il y avoit eu
du miel. Il se despita, dequoy elle luy avoit osté l'occasion de
cette recherche, et desrobé matiere à sa curiosité. Va, luy dit-il,
tu m'as faict desplaisir, je ne lairray pourtant d'en chercher la
cause, comme si elle estoit naturelle. Et volontiers n'eust failly
de trouver quelque raison vraye, à un effect faux et supposé. Ceste
histoire d'un fameux et grand Philosophe, nous represente bien
clairement ceste passion studieuse, qui nous amuse à la poursuyte
des choses, de l'acquest desquelles nous sommes desesperez.
Plutarque recite un pareil exemple de quelqu'un, qui ne vouloit pas
estre esclaircy de ce, dequoy il estoit en doute, pour ne perdre le
plaisir de le chercher : comme l'autre, qui ne vouloit pas que
son medecin luy ostast l'alteration de la fievre, pour ne perdre le
plaisir de l'assouvir en beuvant.
Satius est supervacua
discere, quam nihil
.
    Tout ainsi qu'en toute pasture il y a le plaisir souvent seul,
et tout ce que nous prenons, qui est plaisant, n'est pas tousjours
nutritif, ou sain : Pareillement ce que nostre esprit tire de
la science, ne laisse pas d'estre voluptueux, encore qu'il ne soit
ny alimentant ny salutaire.
    Voicy comme ils disent : La consideration de la nature est
une pasture propre à nos esprits, elle nous esleve et enfle, nous
fait desdaigner les choses basses et terriennes, par la comparaison
des superieures et celestes : la recherche mesme des choses
occultes et grandes est tresplaisante, voire à celuy qui n'en
acquiert que la reverence, et crainte d'en juger. Ce sont des mots
de leur profession. La vaine image de ceste maladive curiosité, se
voit plus expressement encores en cet autre exemple, qu'ils ont par
honneur si souvent en la bouche. Eudoxus souhaittoit et prioit les
Dieux, qu'il peust une fois voir le soleil de pres, comprendre sa
forme, sa grandeur, et sa beauté, à peine d'en estre bruslé
soudainement. Il veut au prix de sa vie, acquerir une science, de
laquelle l'usage et possession luy soit quand et quand ostée. Et
pour ceste soudaine et volage cognoissance, perdre toutes autres
cognoissances qu'il a, et qu'il peut acquerir par apres.
    Je ne me persuade pas aysement, qu'Epicurus, Platon, et
Pythagoras nous ayent donné pour argent contant leurs Atomes, leurs
Idées, et leurs Nombres. Ils estoyent trop sages pour establir
leurs articles de foy, de chose si incertaine, et si
debattable : Mais en ceste obscurité et ignorance du monde,
chacun de ces grands personnages, s'est travaillé d'apporter une
telle quelle image de lumiere : et ont promené leur ame à des
inventions, qui eussent au moins une plaisante et subtile
apparence, pourveu que toute fausse, elle se peust maintenir contre
les oppositions contraires :
Unicuique ista pro ingenio
finguntur, non ex scientiæ vi
. Un ancien, à qui on reprochoit,
qu'il faisoit profession de la Philosophie, de laquelle pourtant en
son jugement, il ne tenoit pas grand compte, respondit que cela,
c'estoit vrayement philosopher. Ils ont voulu considerer tout,
balancer tout, et ont trouvé ceste occupation propre à la naturelle
curiosité qui est en nous. Aucunes choses, ils les ont escrites
pour le besoin de la societé publique, comme leurs religions :
et a esté raisonnable pour ceste consideration, que les communes
opinions, ils n'ayent voulu les esplucher au vif,

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