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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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leurs charges,
et leur puissance, je ne puis pas croire qu'ils parlent à certes.
Quand Platon nous dechiffre le verger de Pluton, et les commoditez
ou peines corporelles, qui nous attendent encore apres la ruine et
aneantissement de nos corps, et les accommode au ressentiment, que
nous avons en ceste vie :
    Secreti celant calles, et myrtea
circùm
Sylva tegit, curæ non ipsa in morte relinquunt.
    Quand Mahumet promet aux siens un paradis tapissé, paré d'or et
de pierreries, peuplé de garses d'excellente beaute, de vins, et de
vivres singuliers, je voy bien que ce sont des moqueurs qui se
plient à nostre bestise, pour nous emmieller et attirer par ces
opinions et esperances, convenables à nostre mortel appetit. Si
sont aucuns des nostres tombez en pareil erreur, se promettants
apres la resurrection une vie terrestre et temporelle, accompagnée
de toutes sortes de plaisirs et commoditez mondaines. Croyons nous
que Platon, luy qui a eu ses conceptions si celestes, et si grande
accointance à la divinité, que le surnom luy en est demeuré, ait
estimé que l'homme, ceste pauvre creature, eust rien en luy
d'applicable à ceste incomprehensible puissance ? et qu'il ait
creu que nos prises languissantes fussent capables, ny la force de
nostre sens assez robuste, pour participer à la beatitude, ou peine
eternelle ? Il faudroit luy dire de la part de la raison
humaine :
    Si les plaisirs que tu nous promets en l'autre vie, sont de ceux
que j'ay senti çà bas, cela n'a rien de commun avec
l'infinité : Quand tous mes cinq sens de nature, seroient
combles de liesse, et ceste ame saisie de tout le contentement
qu'elle peut desirer et esperer, nous sçavons ce qu'elle
peut : cela, ce ne seroit encores rien : S'il y a quelque
chose du mien, il n'y a rien de divin : si cela n'est autre,
que ce qui peut appartenir à ceste nostre condition presente, il ne
peut estre mis en compte. Tout contentement des mortels est mortel.
La recognoissance de nos parens, de nos enfans, et de nos amis, si
elle nous peut toucher et chatouïller en l'autre monde, si nous
tenons encores à un tel plaisir, nous sommes dans les commoditez
terrestres et finies. Nous ne pouvons dignement concevoir la
grandeur de ces hautes et divines promesses, si nous les pouvons
aucunement concevoir : Pour dignement les imaginer, il les
faut imaginer inimaginables, indicibles et incomprehensibles, et
parfaictement autres, que celles de nostre miserable experience.
OEuil ne sçauroit voir, dit Sainct Paul : et ne peut monter en
coeur d'homme, l'heur que Dieu prepare aux siens. Et si pour nous
en rendre capables, on reforme et rechange nostre estre (comme tu
dis Platon par tes purifications) ce doit estre d'un si extreme
changement et si universel, que par la doctrine physique, ce ne
sera plus nous :
    Hector erat tunc cum bello
certabat, at ille
Tractus ab Æmonio non erat Hector equo.
    ce sera quelque autre chose qui recevra ces recompenses.
    quod mutatur, dissolvitur,
interit ergo :
Trajiciuntur enim partes atque ordine migrant.
    Car en la Metempsycose de Pythagoras, et changement d'habitation
qu'il imaginoit aux ames, pensons nous que le lyon, dans lequel est
l'ame de Cæsar, espouse les passions, qui touchoient Cæsar, ny que
ce soit luy ? Si c'estoit encore luy, ceux là auroyent raison,
qui combattants ceste opinion contre Platon, luy reprochent que le
fils se pourroit trouver à chevaucher sa mere, revestuë d'un corps
de mule, et semblables absurditez. Et pensons nous qu'és mutations
qui se font des corps des animaux en autres de mesmes espece, les
nouveaux venus ne soyent autres que leurs predecesseurs ? Des
cendres d'un Phoenix s'engendre, dit-on, un ver, et puis un autre
Phoenix : ce second Phoenix, qui peut imaginer, qu'il ne soit
autre que le premier ? Les vers qui font nostre soye, on les
void comme mourir et assecher, et de ce mesme corps se produire un
papillon, et de là un autre ver, qu'il seroit ridicule estimer
estre encores le premier. Ce qui a cessé une fois d'estre, n'est
plus :
    Nec si materiam nostram
collegerit ætas
Post obitum, rursúmque redegerit, ut sita nunc est,
Atque iterum nobis fuerint data lumina vitæ,
Pertineat quidquam tamen ad nos id quodque factum,
Interrupta semel cùm sit repetentia nostra.
    Et quand tu dis ailleurs Platon, que ce sera la partie
spirituelle de l'homme, à qui il touchera de jouyr des recompenses
de l'autre vie, tu nous dis chose d'aussi peu d'apparence.
    Scilicet avolsis radicibus

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