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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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que
c'est nature ayant la force d'engendrer, augmenter et diminuer,
sans forme et sentiment. Zeno, la loy naturelle, commandant le bien
et prohibant le mal : laquelle loy est un animant : et
oste les Dieux accoustumez, Jupiter, Juno, Vesta. Diogenes
Apolloniates, que c'est l'aage Xenophanes faict Dieu rond, voyant,
oyant, non respirant, n'ayant rien de commun avec l'humaine nature.
Aristo estime la forme de Dieu incomprenable, le prive de sens, et
ignore s'il est animant ou autre chose. Cleanthes, tantost la
raison, tantost le monde, tantost l'ame de nature, tantost la
chaleur supreme entourant et envelopant tout. Perseus auditeur de
Zenon, a tenu, qu'on a surnommé Dieux, ceux qui avoyent apporté
quelque notable utilité à l'humaine vie, et les choses mesmes
profitables. Chrysippus faisoit un amas confus de toutes les
precedentes sentences, et compte entre mille formes de Dieux qu'il
fait, les hommes aussi, qui sont immortalisez. Diagoras et
Theodorus nioyent tout sec, qu'il y eust des Dieux. Epicurus faict
les Dieux luisants, transparents, et perflabes, logez, comme entre
deux forts, entre deux mondes, à couvert des coups : revestus
d'une humaine figure et de nos membres, lesquels membres leur sont
de nul usage.
    Ego Deúm genus esse semper duxi,
Et dicam cælitum,
Sed eos non curare opinor, quid agat humanum genus.
    Fiez vous à vostre Philosophie : vantez vous d'avoir trouvé
la feve au gasteau, à voir ce tintamarre de tant de cervelles
philosophiques. Le trouble des formes mondaines, a gaigné sur moy,
que les diverses moeurs et fantaisies aux miennes, ne me
desplaisent pas tant, comme elles m'instruisent ; ne
m'enorgueillissent pas tant comme elles m'humilient en les
conferant. Et tout autre choix que celuy qui vient de la main
expresse de Dieu, me semble choix de peu de prerogative. Les
polices du monde ne sont pas moins contraires en ce subject, que
les escholes : par où nous pouvons apprendre, que la fortune
mesme n'est pas plus diverse et variable, que nostre raison, ny
plus aveugle et inconsiderée.
    Les choses les plus ignorées sont plus propres à estre
deifiées : Parquoy de faire de nous des Dieux, comme
l'ancienneté, cela surpasse l'extreme foiblesse de discours.
J'eusse encore plustost suyvy ceux qui adoroient le serpent, le
chien et le boeuf : d'autant que leur nature et leur estre
nous est moins cognu ; et avons plus de loy d'imaginer ce
qu'il nous plaist de ces bestes-là, et leur attribuer des facultez
extraordinaires. Mais d'avoir faict des Dieux de nostre condition,
de laquelle nous devons cognoistre l'imperfection, leur avoir
attribué le desir, la cholere, les vengeances, les mariages, les
generations, et les parenteles, l'amour, et la jalousie, nos
membres et nos os, nos fievres et nos plaisirs, nos morts et
sepultures, il faut que cela soit party d'une merveilleuse yvresse
de l'entendement humain.
    Quæ procul usque adeo divino ab
numine distant,
Inque Deûm numero quæ sint indigna videri
.
     
    Formæ, ætates, vestitus, ornatus noti sunt : genera,
conjugia, cognationes, omniáque traducta ad similitudinem
imbecillitatis humanæ : nam et perturbatis animis
inducuntur : accipimus enim Deorum cupiditates, ægritudines,
iracundias
. Comme d'avoir attribué la divinité non seulement à
la foy, à la vertu, à l'honneur, concorde, liberté, victoire,
pieté : mais aussi à la volupté, fraude, mort, envie,
vieillesse, misere : à la peur, à la fievre, et à la male
fortune, et autres injures de nostre vie, fresle et caduque.
    Quid juvat hoc, templis nostros
inducere mores ?
O curvæ in terris animæ Et coelestium inanes !
    Les Ægyptiens d'une impudente prudence, defendoyent sur peine de
la hart, que nul eust à dire que Serapis et Isis leurs Dieux,
eussent autres fois esté hommes : et nul n'ignoroit, qu'ils ne
l'eussent esté. Et leur effigie representée le doigt sur la bouche,
signifioit, dit Varro, ceste ordonnance mysterieuse à leurs
prestres, de taire leur origine mortelle, comme par raison
necessaire anullant toute leur veneration.
    Puis que l'homme desiroit tant de s'apparier à Dieu, il eust
mieux faict, dit Cicero, de ramener à soy les conditions divines,
et les attirer çà bas, que d'envoyer là haut sa corruption et sa
misere : mais à le bien prendre, il a fait en plusieurs
façons, et l'un, et l'autre, de pareille vanité d'opinion.
    Quand les Philosophes espeluchent la hierarchie de leurs dieux,
et font les empressez à distinguer leurs alliances,

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