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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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leurs
provinces, ils l'abandonnoient seul à se sauver, comme il pourroit.
A qui ne se rendent-ils en fin ennuyeux et insupportables ?
les offices communs n'en vont point jusques là. Vous apprenez la
cruauté par force, à vos meilleurs amis : durcissant et femme
et enfans, par long usage, à ne sentir et plaindre plus vos maux.
Les souspirs de ma cholique, n'apportent plus d'esmoy à personne.
Et quand nous tirerions quelque plaisir de leur conversation (ce
qui n'advient pas tousjours, pour la disparité des conditions, qui
produict aisément mespris ou envie, envers qui que ce soit)
n'est-ce pas trop, d'en abuser tout un aage ? Plus je les
verrois se contraindre de bon coeur pour moy, plus je plaindrois
leur peine. Nous avons loy de nous appuyer, non pas de nous coucher
si lourdement sur autruy : et nous estayer en leur ruyne.
Comme celuy qui faisoit esgorger des petits enfans, pour se servir
de leur sang, à guarir une sienne maladie : Ou cet autre, à
qui on fournissoit des jeunes tendrons, à couver la nuict ses vieux
membres : et mesler la douceur de leur haleine, à la sienne
aigre et poisante.
    La decrepitude est qualité solitaire. Je suis sociable jusques à
l'exces. Si me semble-il raisonnable, que meshuy je soustraye de la
veuë du monde, mon importunité, et la couve moy seul. Que je
m'appile et me recueille en ma coque, comme les tortuës :
j'apprenne à veoir les hommes, sans m'y tenir. Je leur ferois
outrage en un pas si pendant. Il est temps de tourner le dos à la
compagnie.
    Mais en ces voyages vous serez arresté miserablement en un
caignart, où tout vous manquera. La plus-part des choses
necessaires, je les porte quant et moy : Et puis, nous ne
sçaurions eviter la fortune, si elle entreprend de nous courre sus.
Il ne me faut rien d'extraordinaire, quand je suis malade : Ce
que nature ne peut en moy, je ne veux pas qu'un bolus le face. Tout
au commencement de mes fiévres, et des maladies qui m'atterrent,
entier encores, et voisin de la santé, je me reconcilie à Dieu, par
les derniers offices Chrestiens. Et m'en trouve plus libre, et
deschargé ; me semblant en avoir d'autant meilleure raison de
la maladie. De notaire et de conseil, il m'en faut moins que de
medecins. Ce que je n'auray estably de mes affaires tout sain,
qu'on ne s'attende point que je le face malade : Ce que je
veux faire pour le service de la mort, est tousjours faict. Je
n'oserois le dislayer d'un seul jour. Et s'il n'y a rien de faict,
c'est à dire, ou que le doubte m'en aura retardé le choix :
car par fois, c'est bien choisir de ne choisir pas : ou que
tout à faict, je n'auray rien voulu faire.
    J'escris mon livre à peu d'hommes, et à peu d'années. Si ç'eust
esté une matiere de durée, il l'eust fallu commettre à un langage
plus ferme : Selon la variation continuelle, qui a suivy le
nostre jusques à cette heure, qui peut esperer que sa forme
presente soit en usage, d'icy à cinquante ans ? Il escoule
touts les jours de nos mains : et depuis que je vis, s'est
alteré de moitié. Nous disons, qu'il est à cette heure parfaict.
Autant en dict du sien, chasque siecle. Je n'ay garde de l'en tenir
là tant qu'il fuira, et s'ira difformant comme il faict. C'est aux
bons et utiles escrits, de le clouer à eux, et ira son credit,
selon la fortune de nostre estat.
    Pourtant ne crains-je point d'y inserer plusieurs articles
privez, qui consument leur usage entre les hommes qui vivent
aujourd'huy : et qui touchent la particuliere science
d'aucuns, qui y verront plus avant, que de la commune intelligence.
Je ne veux pas, apres tout, comme je vois souvent agiter la memoire
des trespassez, qu'on aille debattant : Il jugeoit, il vivoit
ainsin : il vouloit cecy : s'il eust parlé sur sa fin il
eust dict, il eust donné ; je le cognoissois mieux que tout
autre. Or autant que la bien-seance me le permet, je fais icy
sentir mes inclinations et affections : Mais plus librement,
et plus volontiers, le fais-je de bouche, à quiconque desire en
estre informé. Tant y a, qu'en ces memoires, si on y regarde, on
trouvera que j'ay tout dit, ou tout designé : Ce que je ne
puis exprimer, je le montre au doigt.
    Verum animo satis hæc vestigia parva
sagaci,
Sunt, per quæ possis cognoscere cætera tute :
    Je ne laisse rien à desirer, et deviner de moy. Si on doit s'en
entretenir, je veux que ce soit veritablement et justement. Je
reviendrois volontiers de l'autre monde, pour démentir celuy, qui
me formeroit autre

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