Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
que je n'estois ; fust-ce pour m'honorer.
Des vivans mesme, je sens qu'on parle tousjours autrement qu'ils ne
sont. Et si à toute force, je n'eusse maintenu un amy que j'ay
perdu, on me l'eust deschiré en mille contraires visages.
    Pour achever de dire mes foibles humeurs : J'advouë, qu'en
voyageant, je n'arrive guere en logis, où il ne me passe par la
fantasie, si j'y pourray estre, et malade, et mourant à mon
aise : Je veux estre logé en lieu, qui me soit bien
particulier, sans bruict, non maussade, ou fumeux, ou estouffé. Je
cherche à flatter la mort, par ces frivoles circonstances. Ou pour
mieux dire, à me descharger de tout autre empeschement : afin
que je n'aye qu'à m'attendre à elle, qui me poisera volontiers
assez, sans autre recharge. Je veux qu'elle ait sa part à l'aisance
et commodité de ma vie : C'en est un grand lopin, et
d'importance, et espere meshuy qu'il ne dementira pas le passé.
    La mort a des formes plus aisées les unes que les autres, et
prend diverses qualitez selon la fantasie de chacun. Entre les
naturelles, celle qui vient d'affoiblissement et appesantissement,
me semble molle et douce. Entre les violentes, j'imagine plus
mal-aisément un precipice, qu'une ruïne qui m'accable : et un
coup trenchant d'une espée, qu'une harquebusade : et eusse
plustost beu le breuvage de Socrates, que de me fraper, comme
Caton. Et quoy que ce soit un, si sent mon imagination difference,
comme de la mort à la vie, à me jetter dans une fournaise ardente,
ou dans le canal d'une platte riviere. Tant sottement nostre
crainte regarde plus au moyen qu'à l'effect. Ce n'est qu'un
instant ; mais il est de tel poix, que je donneroy volontiers
plusieurs jours de ma vie, pour le passer à ma mode.
    Puisque la fantasie d'un chacun trouve du plus et du moins, en
son aigreur : puisque chacun a quelque choix entre les formes
de mourir, essayons un peu plus avant d'en trouver quelqu'une
deschargée de tout desplaisir. Pourroit on pas la rendre encore
voluptueuse, comme les commourans d'Antonius et de Cleopatra ?
Je laisse à part les efforts que la philosophie, et la religion
produisent, aspres et exemplaires. Mais entre les hommes de peu, il
s'en est trouvé, comme un Petronius, et un Tigillinus à Rome,
engagér à se donner la mort, qui l'ont comme endormie par la
mollesse de leurs apprests. Ils l'ont faicte couler et glisser
parmy la lascheté de leurs passetemps accoustumez. Entre des garses
et bons compagnons ; nul propos de consolation, nulle mention
de testament, nulle affectation ambitieuse de constance, nul
discours de leur condition future : parmy les jeux, les
festins, facecies, entretiens communs et populaires, et la musique,
et des vers amoureux. Ne sçaurions nous imiter cette resolution en
plus honneste contenance ? Puis qu'il y a des morts bonnes aux
fols, bonnes aux sages : trouvons-en qui soient bonnes à ceux
d'entre deux. Mon imagination m'en presente quelque visage facile,
et, puis qu'il faut mourir, desirable. Les tyrans Romains pensoient
donner la vie au criminel, à qui ils donnoient le choix de sa mort.
Mais Theophraste Philosophe si delicat, si modeste, si sage, a-il
pas esté forcé par la raison, d'oser dire ce vers latinisé par
Ciceron :
    Vitam regit fortuna, non sapientia
.
    La fortune aide à la facilité du marché de ma vie : l'ayant
logée en tel poinct, qu'elle ne faict meshuy ny besoing aux miens,
ny empeschement. C'est une condition que j'eusse acceptée en toutes
les saisons de mon aage : mais en cette occasion, de trousser
mes bribes, et de plier bagage, je prens plus particulierement
plaisir à ne leur apporter ny plaisir ny deplaisir, en mourant.
Elle a, d'une artiste compensation, faict, que ceux qui peuvent
pretendre quelque materiel fruict de ma mort, en reçoivent
d'ailleurs, conjointement, une materielle perte. La mort
s'appesantit souvent en nous, de ce qu'elle poise aux autres :
et nous interesse de leur interest, quasi autant que du
nostre : et plus et tout par fois.
    En cette commodité de logis que je cherche, je n'y mesle pas la
pompe et l'amplitude : je la hay plustost : Mais certaine
proprieté simple, qui se rencontre plus souvent aux lieux où il y a
moins d'art, et que nature honore de quelque grace toute sienne,
Non ampliter sed munditer convivium. Plus salis quam
sumptus
.
    Et puis, c'est à faire à ceux que les affaires entrainent en
plain hyver, par les Grisons, d'estre surpris en chemin en cette
extremité. Moy qui le plus

Weitere Kostenlose Bücher