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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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trouve que par incident,
tout estouffé en matiere estrangere. Voyez ses alleures au
Dæmon de Socrates
. O Dieu, que ces gaillardes escapades,
que ceste variation a de beauté : et plus lors, que plus elle
retire au nonchalant et fortuit ! C'est l'indiligent lecteur,
qui perd mon subject ; non pas moy. Il s'en trouvera tousjours
en un coing quelque mot, qui ne laisse pas d'estre bastant, quoy
qu'il soit serré. Je vois au change, indiscrettement et
tumultuairement : mon stile, et mon esprit, vont vagabondant
de mesmes : Il faut avoir un peu de folie, qui ne veut avoir
plus de sottise : disent, et les preceptes de nos maistres, et
encores plus leurs exemples.
    Mille poëtes trainent et languissent à la prosaïque, mais la
meilleure prose ancienne, et je la seme ceans indifferemment pour
vers, reluit par tout, de la vigueur et hardiesse poëtique, et
represente quelque air de sa fureur : Il luy faut certes
quitter la maistrise, et preeminence en la parlerie. Le poëte, dit
Platon, assis sur le trepied des Muses, verse de furie, tout ce qui
luy vient en la bouche : comme la gargouïlle d'une fontaine,
sans le ruminer et poiser : et luy eschappe des choses, de
diverse couleur, de contraire substance, et d'un cours rompu. Et la
vieille theologie est toute poësie, (disent les sçavants,) et la
premiere philosophie.
    C'est l'originel langage des Dieux.
    J'entends que la matiere se distingue soy-mesmes. Elle montre
assez où elle se change, où elle conclud, où elle commence, où elle
se reprend : sans l'entrelasser de parolles, de liaison, et de
cousture, introduictes pour le service des oreilles foibles, ou
nonchallantes : et sans me gloser moy-mesme. Qui est celuy,
qui n'ayme mieux n'estre pas leu, que de l'estre en dormant ou en
fuyant ?
     
    Nihil est tam utile, quod in transitu prosit
. Si
prendre des livres, estoit les apprendre : et si les veoir,
estoit les regarder : et les parcourir, les saisir, j'auroy
tort de me faire du tout si ignorant que je dy.
    Puisque je ne puis arrester l'attention du lecteur par le
poix :
manco male
, s'il advient que je l'arreste par
mon embrouïlleure : Voire mais, il se repentira par apres, de
s'y estre amusé. C'est mon : mais il s'y sera tousjours amusé.
Et puis il est des humeurs comme cela, à qui l'intelligence porte
desdain : qui m'en estimeront mieux de ce qu'ils ne sçauront
ce que je dis : ils conclurront la profondeur de mon sens, par
l'obscurité : Laquelle à parler en bon escient, je hay bien
fort : et l'eviterois, si je me sçavois eviter. Aristote se
vante en quelque lieu, de l'affecter. Vitieuse affectation.
    Par ce que la coupure si frequente des chapitres, dequoy j'usoy
au commencement, m'a semblé rompre l'attention, avant qu'elle soit
née et la dissoudre : dedaignant s'y coucher pour si peu, et
se recueillir : je me suis mis à les faire plus longs :
qui requierent de la proposition et du loisir assigné. En telle
occupation, à qui on ne veut donner une seule heure, on ne veut
rien donner. Et ne fait on rien pour celuy, pour qui on ne fait,
qu'autre chose faisant. Joint, qu'à l'adventure ay-je quelque
obligation particuliere, à ne dire qu'à demy, à dire confusement, à
dire discordamment.
    Je veux donq mal à ceste raison trouble-feste : Et ces
projects extravagants qui travaillent la vie, et ces opinions si
fines, si elles ont de la verité ; je la trouve trop chere et
trop incommode. Au rebours : je m'employe à faire valoir la
vanité mesme, et l'asnerie, si elle m'apporte du plaisir. Et me
laisse aller apres mes inclinations naturelles sans les
contreroller de si pres.
    J'ay veu ailleurs des maisons ruynées, et des statues, et du
ciel et de la terre : ce sont tousjours des hommes. Tout cela
est vray : et si pourtant ne sçauroy revoir si souvent le
tombeau de ceste ville, si grande, et si puissante, que je ne
l'admire et revere. Le soing des morts nous est en recommandation.
Or j'ay esté nourry des mon enfance, avec ceux icy : J'ay eu
cognoissance des affaires de Rome, long temps avant que je l'aye
euë de ceux de ma maison. Je sçavois le Capitole et son plant,
avant que je sceusse le Louvre : et le Tibre avant la Seine.
J'ay eu plus en teste, les conditions et fortunes de Lucullus,
Metellus, et Scipion, que je n'ay d'aucuns hommes des nostres. Ils
sont trespassez : Si est bien mon pere : aussi
entierement qu'eux : et s'est esloigné de moy, et de la vie,
autant en dixhuict ans, que ceux-là ont faict en seize

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