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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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cens :
duquel pourtant je ne laisse pas d'embrasser et practiquer la
memoire, l'amitié et societé, d'une parfaicte union et
tres-vive.
    Voire, de mon humeur, je me rends plus officieux envers les
trespassez : Ils ne s'aydent plus : ils en requierent ce
me semble d'autant plus mon ayde : La gratitude est là,
justement en son lustre. Le bien-faict est moins richement assigné,
où il y a retrogradation, et reflexion. Arcesilaus visitant
Ctesibius malade, et le trouvant en pauvre estat, luy fourra tout
bellement soubs le chevet du lict, de l'argent qu'il luy donnoit.
Et en le luy celant, luy donnoit en outre, quittance de luy en
sçavoir gré. Ceux qui ont merité de moy, de l'amitié et de la
recognoissance, ne l'ont jamais perdue pour n'y estre plus :
je les ay mieux payez, et plus soigneusement, absens et ignorans.
Je parle plus affectueusement de mes amis, quand il n'y a plus de
moyen qu'ils le sçachent.
    Or j'ay attaqué cent querelles pour la deffence de Pompeius, et
pour la cause de Brutus. Ceste accointance dure encore entre nous.
Les choses presentes mesmes, nous ne les tenons que par la
fantasie. Me trouvant inutile à ce siecle, je me rejecte à cet
autre. Et en suis si embabouyné, que l'estat de ceste vieille Rome,
libre, juste, et florissante (car je n'en ayme, ny la naissance, ny
la vieillesse) m'interesse et me passionne. Parquoy je ne sçauroy
revoir si souvent, l'assiette de leurs rues, et de leurs maisons,
et ces ruynes profondes jusques aux Antipodes, que je ne m'y amuse.
Est-ce par nature, ou par erreur de fantasie, que la veuë des
places, que nous sçavons avoir esté hantées et habitées par
personnes, desquelles la memoire est en recommendation, nous emeut
aucunement plus, qu'ouïr le recit de leurs faicts, ou lire leurs
escrits ?
     
    Tanta vis admonitionis inest in locis. Et id quidem in hac
urbe infinitum : quacumque enim ingredimur, in aliquam
historiam vestigium ponimus
. Il me plaist de considerer leur
visage, leur port, et leurs vestements : Je remasche ces
grands noms entre les dents, et les fais retentir à mes oreilles.
Ego illos veneror, Et tantis nominibus semper assurgo
. Des
choses qui sont en quelque partie grandes et admirables, j'en
admire les parties mesmes communes. Je les visse volontiers
deviser, promener, et soupper. Ce seroit ingratitude, de mespriser
les reliques, et images de tant d'honnestes hommes, et si valeureux
lesquels j'ay veu vivre et mourir : et qui nous donnent tant
de bonnes instructions par leur exemple, si nous les sçavions
suyvre.
    Et puis ceste mesme Rome que nous voyons, merite qu'on l'ayme.
Confederée de si long temps, et partant de tiltres, à nostre
couronne : Seule ville commune, et universelle. Le magistrat
souverain qui y commande, est recognu pareillement ailleurs :
c'est la ville metropolitaine de toutes les nations Chrestiennes.
L'Espaignol et le François, chacun y est chez soy : Pour estre
des princes de cet estat, il ne faut qu'estre de Chrestienté, où
qu'elle soit. Il n'est lieu çà bas, que le ciel ayt embrassé avec
telle influence de faveur, et telle constance : Sa ruyne mesme
est glorieuse et enflée.
    Laudandis preciosior ruinis
.
    Encore retient elle au tombeau des marques et image d'empire.
Ut palam sit uno in loco gaudentis opus esse naturæ
.
Quelqu'un se blasmeroit, et se mutineroit en soy-mesme, de se
sentir chatouïller d'un si vain plaisir. Nos humeurs ne sont pas
trop vaines, qui sont plaisantes. Quelles qu'elles soyent qui
contentent constamment un homme capable de sens commun, je ne
sçaurois avoir le coeur de le pleindre.
    Je doibs beaucoup à la fortune, dequoy jusques à ceste heure,
elle n'a rien fait contre moy d'outrageux au delà de ma portée.
Seroit ce pas sa façon, de laisser en paix, ceux de qui elle n'est
point importunée ?
    Quanto quisque sibi plura negaverit,
A Diis plura feret, nil cupientium,
Nudus castra peto, multa petentibus,
Desunt multa
.
    Si elle continue, elle me r'envoyera tres-content, et
satisfaict,
    nihil supra
Deos lacesso
.
    Mais gare le heurt. Il en est mille qui rompent au port.
    Je me console aiséement, de ce qui adviendra icy, quand je n'y
seray plus. Les choses presentes m'embesongnent assez,
    fortunæ cætera mando
.
    Aussi n'ay-je point ceste forte liaison, qu'on dit attacher les
hommes à l'advenir, par les enfans qui portent leur nom, et leur
honneur. Et en doibs desirer à l'anvanture d'autant moins, s'ils
sont si desirables. Je ne tiens que trop au monde, et à

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