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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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sagesse, la difficulté de nos humeurs, le desgoust
des choses presentes : mais à la verité, nous ne quittons pas
tant les vices, comme nous les changeons : et, à mon opinion,
en pis. Outre une sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces
humeurs espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin
ridicule des richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve
plus d'envie, d'injustice et de malignité. Elle nous attache plus
de rides en l'esprit qu'au visage : et ne se void point
d'ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l'aigre et le
moisi. L'homme marche entier, vers son croist et vers son
décroist.
    A voir la sagesse de Socrates, et plusieurs circonstances de sa
condamnation, j'oseroy croire, qu'il s'y presta aucunement luy
mesme, par prevarication, à dessein : ayant de si prés, aagé
de soixante et dix ans, à souffrir l'engourdissement des riches
allures de son esprit, et l'esblouïssement de sa clairté
accoustumee.
    Quelles Metamorphoses luy voy-je faire tous les jours, en
plusieurs de mes cognoissans ? c'est une puissante maladie, et
qui se coule naturellement et imperceptiblement : il y faut
grande provision d'estude, et grande precaution, pour eviter les
imperfections qu'elle nous charge : ou aumoins affoiblir leur
progrez. Je sens que nonobstant tous mes retranchemens, elle gaigne
pied à pied sur moy : Je soustien tant que je puis, mais je ne
sçay en fin, où elle me menera moy-mesme : A toutes avantures,
je suis content qu'on sçache d'où je seray tombé.

Chapitre 3 De trois commerces
    IL ne faut pas se clouër si fort à ses humeurs et complexions.
Nostre principalle suffisance, c'est, sçavoir s'appliquer à divers
usages. C'est estre, mais ce n'est pas vivre que se tenir attaché
et obligé par necessité, à un seul train. Les plus belles ames sont
celles qui ont plus de varieté et de souplesse.
    Voyla un honorable tesmoignage du vieil Caton :
Huic
versatile ingenium sic pariter ad omnia fuit, ut natum ad id unum
diceres, quodcumque ageret
.
    Si c'estoit à moy à me dresser à ma mode, il n'est aucune si
bonne façon, où je voulusse estre fiché, pour ne m'en sçavoir
desprendre. La vie est un mouvement inegal, irregulier, et
multiforme. Ce n'est pas estre amy de soy, et moins encore
maistre : c'est en estre esclave, de se suivre
incessamment : et estre si pris à ses inclinations, qu'on n'en
puisse fourvoyer, qu'on ne les puisse tordre. Je le dy à cette
heure, pour ne me pouvoir facilement despestrer de l'importunité de
mon ame, en ce qu'elle ne sçait communément s'amuser, sinon où elle
s'empesche, ny s'employer, que bandee et entiere. Pour leger
subject qu'on luy donne, elle le grossit volontiers, et l'estire,
jusques au poinct où elle ayt à s'y embesongner de toute sa force.
Son oysiveté m'est à cette cause une penible occupation, et qui
offense ma santé. La plus part des esprits ont besoing de matiere
estrangere, pour se desgourdir et exercer : le mien en a
besoing, pour se rassoir plustost et sejourner,
vitia otii
negotio discutienda sunt 
: Car son plus laborieux et
principal estude, c'est, s'estudier soy. Les livres sont, pour luy,
du genre des occupations, qui le desbauchent de son estude. Aux
premieres pensees qui luy viennent, il s'agite, et fait preuve de
sa vigueur à tout sens : exerce son maniement tantost vers la
force, tantost vers l'ordre et la grace, se range, modere, et
fortifie. Il a dequoy esveiller ses facultez par luy mesme :
Nature luy a donné comme à tous, assez de matiere sienne, pour son
utilité, et des subjects propres assez, où inventer et juger.
    Le mediter est un puissant estude et plein, à qui sçait se
taster et employer vigoureusement. J'ayme mieux forger mon ame, que
la meubler. Il n'est point d'occupation ny plus foible, ny plus
forte, que celle d'entretenir ses pensees, selon l'ame que c'est.
Les plus grandes en font leur vacation,
quibus vivere est
cogitare
. Aussi l'a nature favorisee de ce privilege, qu'il
n'y a rien, que nous puissions faire si long temps : ny action
à laquelle nous nous addonnions plus ordinairement et facilement.
C'est la besongne des Dieux, dit Aristote, de laquelle naist et
leur beatitude et la nostre. La lecture me sert specialement à
esveiller par divers objects mon discours : à embesongner mon
jugement, non ma memoyre.
    Peu d'entretiens doncq m'arrestent sans vigueur et sans
effort : Il est vray que la gentillesse et la beauté me
remplissent et occupent, autant

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