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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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ou plus, que le pois et la
profondeur. Et d'autant que je sommeille en toute autre
communication, et que je n'y preste que l'escorce de mon attention,
il m'advient souvent, en telle sorte de propos abatus et lasches,
propos de contenance, de dire et respondre des songes et bestises,
indignes d'un enfant, et ridicules : ou de me tenir obstiné en
silence, plus ineptement encore et incivilement. J'ay une façon
resveuse, qui me retire à moy : et d'autre part une lourde
ignorance et puerile, de plusieurs choses communes : Par ces
deux qualitez, j'ay gaigné, qu'on puisse faire au vray, cinq ou six
contes de moy, aussi niais que d'autre quel qu'il soit.
    Or suyvant mon propos, cette complexion difficile me rend
delicat à la pratique des hommes : il me les faut trier sur le
volet : et me rend incommode aux actions communes. Nous
vivons, et negotions avec le peuple : si sa conversation nous
importune, si nous desdaignons à nous appliquer aux ames basses et
vulgaires : et les basses et vulgaires sont souvent aussi
reglees que les plus déliees : et toute sapience est insipide
qui ne s'accommode à l'insipience commune : il ne nous faut
plus entremettre ny de nos propres affaires, ny de ceux
d'autruy : et les publiques et les privez se demeslent avec
ces gens là. Les moins tendues et plus naturelles alleures de
nostre ame, sont les plus belles : les meilleures occupations,
les moins efforcees. Mon Dieu, que la sagesse faict un bon office à
ceux, de qui elle renge les desirs à leur puissance ! Il n'est
point de plus utile science. Selon qu'on peut : c'estoit le
refrain et le mot favory de Socrates : Mot de grande
substance : il faut addresser et arrester nos desirs, aux
choses les plus aysees et voysines. Ne m'est-ce pas une sotte
humeur, de disconvenir avec un milier à qui ma fortune me joint, de
qui je ne me puis passer, pour me tenir à un ou deux, qui sont hors
de mon commerce : ou plustost à un desir fantastique, de chose
que je ne puis recouvrer ? Mes moeurs molles, ennemies de
toute aigreur et aspreté, peuvent aysement m'avoir deschargé
d'envies et d'inimitiez : D'estre aymé, je ne dy, mais de
n'estre point hay, jamais homme n'en donna plus d'occasion :
Mais la froideur de ma conversation, m'a desrobé avec raison, la
bien-vueillance de plusieurs, qui sont excusables de l'interpreter
à autre, et pire sens.
    Je suis tres-capable d'acquerir et maintenir des amitiez rares
et exquises. D'autant que je me harpe avec si grande faim aux
accointances qui reviennent à mon goust, je m'y produis, je m'y
jette si avidement, que je ne faux pas aysement de m'y attacher, et
de faire impression où je donne : j'en ay faict souvent
heureuse preuve. Aux amitiez communes, je suis aucunement sterile
et froid : car mon aller n'est pas naturel, s'il n'est à
pleine voyle. Outrece, que ma fortune m'ayant duit et affriandé de
jeunesse, à une amitié seule et parfaicte, m'a à la verité
aucunement desgousté des autres : et trop imprimé en la
fantasie, qu'elle est beste de compagnie, non pas de troupe, comme
disoit cet ancien. Aussi, que j'ay naturellement peine à me
communiquer à demy : et avec modification, et cette servile
prudence et soupçonneuse, qu'on nous ordonne, en la conversation de
ces amitiez nombreuses, et imparfaictes. Et nous l'ordonne lon
principalement en ce temps, qu'il ne se peut parler du monde, que
dangereusement, ou faucement.
    Si voy-je bien pourtant, que qui a comme moy, pour sa fin, les
commoditez de sa vie (je dy les commoditez essentielles) doibt fuyr
comme la peste, ces difficultez et delicatesse d'humeur. Je
louerois un'ame à divers estages, qui sçache et se tendre et se
desmonter : qui soit bien par tout où sa fortune la
porte : qui puisse deviser avec son voisin, de son bastiment,
de sa chasse et de sa querelle : entretenir avec plaisir un
charpentier et un jardinier. J'envie ceux, qui sçavent s'aprivoiser
au moindre de leur suitte, et dresser de l'entretien en leur propre
train.
    Et le conseil de Platon ne me plaist pas, de parler tousjours
d'un langage maistral à ses serviteurs, sans jeu, sans
familiarité : soit envers les masles, soit envers les
femelles. Car outre ma raison, il est inhumain et injuste, de faire
tant valoir cette telle quelle prerogative de la fortune : et
les polices, où il se souffre moins de disparité entre les valets
et les maistres, me semblent les plus equitables.
    Les autres s'estudient à eslancer et guinder leur esprit :
moy à

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