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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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doux assaisonnement des tables, pourveu que
ce soyent des propos de mesme, plaisans et courts.
    Il y a de la jalousie et envie entre nos plaisirs, ils se
choquent et empeschent l'un l'autre. Alcibiades, homme bien entendu
à faire bonne chere, chassoit la musique mesme des tables, pour
qu'elle ne troublast la douceur des devis, par la raison, que
Platon luy preste, Que c'est un usage d'hommes populaires,
d'appeller des joüeurs d'instruments et des chantres aux festins, à
faute de bons discours et aggreables entretiens, dequoy les gents
d'entendement sçavent s'entrefestoyer.
    Varro demande cecy au convive : l'assemblée de personnes
belles de presence, et aggreables de conversation, qui ne soyent ny
muets ny bavarts : netteté et delicatesse aux vivres, et au
lieu : et le temps serein. Ce n'est pas une feste peu
artificielle, et peu voluptueuse, qu'un bon traittement de table.
Ny les grands chefs de guerre, ny les grands philosophes, n'en ont
desdaigné l'usage et la science. Mon imagination en a donné trois
en garde à ma memoire, que la fortune me rendit de souveraine
douceur, en divers temps de mon aage plus fleurissant. Mon estat
present m'en forclost. Car chacun pour soy y fournit de grace
principale, et de saveur, selon la bonne trampe de corps et d'ame,
en quoy lors il se trouve.
    Moy qui ne manie que terre à terre, hay ceste inhumaine
sapience, qui nous veut rendre desdaigneux et ennemis de la culture
du corps. J'estime pareille injustice, de prendre à contre coeur
les voluptez naturelles, que de les prendre trop à coeur :
Xerxes estoit un fat, qui enveloppé en toutes les voluptez
humaines, alloit proposer prix à qui luy en trouveroit d'autres.
Mais non guere moins fat est celuy, qui retranche celles, que
nature luy a trouvées. Il ne les faut ny suyvre ny fuyr : il
les faut recevoir. Je les reçois un peu plus grassement et
gratieusement, et me laisse plus volontiers aller vers la pente
naturelle. Nous n'avons que faire d'exaggerer leur inanité :
elle se faict assez sentir, et se produit assez. Mercy à nostre
esprit maladif, rabat-joye, qui nous desgouste d'elles, comme de
soy-mesme. Il traitte et soy, et tout ce qu'il reçoit, tantost
avant, tantost arriere, selon son estre insatiable, vagabond et
versatile :
    Syncerum est nisi vas, quodcunque infundis,
acescit
.
    Moy, qui me vente d'embrasser si curieusement les commoditez de
la vie, et si particulierement : n'y trouve, quand j'y regarde
ainsi finement, à peu pres que du vent. Mais quoy ? nous
sommes par tout vent. Et le vent encore, plus sagement que nous
s'ayme à bruire, à s'agiter : Et se contente en ses propres
offices : sans desirer la stabilité, la solidité, qualitez non
siennes.
    Les plaisirs purs de l'imagination, ainsi que les desplaisirs,
disent aucuns, sont les plus grands : comme l'exprimoit la
balance de Critolaüs. Ce n'est pas merveille. Elle les compose à sa
poste, et se les taille en plein drap. J'en voy tous les jours, des
exemples insignes, et à l'adventure desirables. Mais moy, d'une
condition mixte, grossier, ne puis mordre si à faict, à ce seul
object, si simple : que je ne me laisse tout lourdement aller
aux plaisirs presents, de la loy humaine et generale.
Intellectuellement sensibles, sensiblement intellectuels. Les
philosophes Cyrenaïques veulent, que comme les douleurs, aussi les
plaisirs corporels soyent plus puissants : et comme doubles,
et comme plus justes.
    Il en est, comme dit Aristote, qui d'une farousche stupidité, en
font les desgoustez. J'en cognoy d'autres qui par ambition le font.
Que ne renoncent ils encore au respirer ? que ne vivent-ils du
leur, et ne refusent la lumiere, de ce qu'elle est gratuite :
ne leur coutant ny invention ny vigueur ? Que Mars, ou Pallas,
ou Mercure, les substantent pour voir, au lieu de Venus, de Cerez,
et de Bacchus. Chercheront ils pas la quadrature du cercle, juchez
sur leurs femmes ? Je hay, qu'on nous ordonne d'avoir l'esprit
aux nues, pendant que nous avons le corps à table. Je ne veux pas
que l'esprit s'y clouë, ny qu'il s'y veautre : mais je veux
qu'il s'y applique : qu'il s'y see, non qu'il s'y couche.
Aristippus ne defendoit que le corps, comme si nous n'avions pas
d'ame : Zenon n'embrassoit que l'ame, comme si nous n'avions
pas de corps. Touts deux vicieusement. Pythagoras, disent-ils, a
suivy une philosophie toute en contemplation : Socrates, toute
en moeurs et en action : Platon en a trouvé le temperament
entre les deux. Mais ils

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