Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
immoderées et
charmeresses blandices de la volupté. Ce sont deux fontaines,
ausquelles, qui puise, d'où, quand et combien il faut, soit cité,
soit homme, soit beste, il est bien heureux. La premiere, il la
faut prendre par medecine et par necessité, plus
escharsement : L'autre par soif, mais non jusques à l'yvresse.
La douleur, la volupté, l'amour, la haine, sont les premieres
choses, que sent un enfant : si la raison survenant elles
s'appliquent à elle : cela c'est vertu.
    J'ay un dictionaire tout à part moy : je passe le temps,
quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le
veux pas passer, je le retaste, je m'y tiens. Il faut courir le
mauvais, et se rassoir au bon. Cette fraze ordinaire de
passe-temps
, et de
passer le temps
, represente
l'usage de ces prudentes gens, qui ne pensent point avoir meilleur
conte de leur vie, que de la couler et eschaper : de la
passer, gauchir, et autant qu'il est en eux, ignorer et fuir ;
comme chose de qualité ennuyeuse et desdaignable : Mais je la
cognois autre : et la trouve, et prisable et commode, voire en
son dernier decours, où je la tiens : Et nous l'a nature mise
en main, garnie de telles circonstances et si favorables, que nous
n'avons à nous plaindre qu'à nous, si elle nous presse ; et si
elle nous eschappe inutilement.
Stulti vita ingrata est,
trepida est, tota in futurum fertur
. Je me compose pourtant à
la perdre sans regret : Mais comme perdable de sa condition,
non comme moleste et importune. Aussi ne sied-il proprement bien,
de ne se desplaire à mourir qu'à ceux, qui se plaisent à vivre. Il
y a du mesnage à la jouyr : je la jouis au double des
autres : Car la mesure en la jouissance, depend du plus ou
moins d'application, que nous y prestons. Principalement à cette
heure, que j'apperçoy la mienne si briefve en temps, je la veux
estendre en poix : Je veux arrester la promptitude de sa fuite
par la promptitude de ma saisie : et par la vigueur de
l'usage, compenser la hastiveté de son escoulement. A mesure que la
possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus
profonde, et plus pleine.
    Les autres sentent la douceur d'un contentement, et de la
prosperité : je la sens ainsi qu'eux : mais ce n'est pas
en passant et glissant. Si la faut-il estudier, savourer et
ruminer, pour en rendre graces condignes à celuy qui nous
l'ottroye. Ils jouyssent les autres plaisirs, comme ils font celuy
du sommeil, sans les cognoistre. A celle-fin que le dormir mesme ne
m'eschappast ainsi stupidement, j'ay autresfois trouvé bon qu'on me
le troublast, afin que je l'entrevisse. Je consulte d'un
contentement avec moy ; je ne l'escume pas, je le sonde, et
plie ma raison à le recueillir, devenuë chagrigne et desgoustée. Me
trouvé-je en quelque assiette tranquille, y a il quelque volupté
qui me chatouille, je ne la laisse pas friponner aux sens ;
j'y associe mon ame. Non pas pour s'y engager, mais pour s'y
agreer ; non pas pour s'y perdre, mais pour s'y trouver. Et
l'employe de sa part, à se mirer dans ce prospere estat, à en
poiser et estimer le bon-heur, et l'amplifier. Elle mesure combien
c'est qu'elle doit à Dieu, d'estre en repos de sa conscience et
d'autres passions intestines ; d'avoir le corps en sa
disposition naturelle : jouissant ordonnément et competemment,
des functions molles et flateuses, par lesquelles il luy plaist
compenser de sa grace, les douleurs, dequoy sa justice nous bat à
son tour. Combien luy vaut d'estre logee en tel poinct, que où
qu'elle jette sa veuë, le ciel est calme autour d'elle : nul
desir, nulle crainte ou doute, qui luy trouble l'air : aucune
difficulté passée, presente, future, par dessus laquelle son
imagination ne passe sans offence. Cette consideration prend grand
lustre de la comparaison des conditions differentes : Ainsi,
je me propose en mille visages, ceux que la fortune, ou que leur
propre erreur emporte et tempeste. Et encores ceux cy plus pres de
moy, qui reçoivent si laschement, et incurieusement leur bonne
fortune. Ce sont gens qui passent voirement leur temps ; ils
outrepassent le present, et ce qu'ils possedent, pour servir à
l'esperance, et pour des ombrages et vaines images, que la fantasie
leur met au devant,
    Morte obita quales fama est
volitare figuras,
Aut quæ sopitos deludunt somnia sensus 
;
    lesquelles hastent et allongent leur fuitte, à mesme qu'on les
suit. Le fruict et but de leur poursuitte, c'est poursuivre :
comme Alexandre disoit

Weitere Kostenlose Bücher