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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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soif. Et
communement, je ne bois que du desir qui m'en vient en mangeant, et
bien avant dans le repas. Je bois assez bien, pour un homme de
commune façon : En esté, et en un repas appetissant, je
n'outrepasse point seulement les limites d'Auguste, qui ne beuvoit
que trois fois precisement : mais pour n'offenser la reigle de
Democritus, qui deffendoit de s'arrester à quattre, comme à un
nombre mal fortuné, je coule à un besoing, jusques à cinq :
Trois demysetiers, environ. Car les petis verres sont les miens
favoris : Et me plaist de les vuider, ce que d'autres evitent
comme chose mal seante. Je trempe mon vin plus souvent à moitié,
par fois au tiers d'eau. Et quand je suis en ma maison, d'un ancien
usage que son medecin ordonnoit à mon pere, et à soy, on mesle
celuy qu'il me faut, des la sommelerie, deux ou trois heures avant
qu'on serve. Ils disent, que Cranaus Roy des Atheniens fut
inventeur de cest usage, de tremper le vin : utilement ou non,
j'en ay veu debattre. J'estime plus decent et plus sain, que les
enfans n'en usent qu'apres seize ou dix-huict ans. La forme de
vivre plus usitée et commune, est la plus belle : Toute
particularité, m'y semble à eviter : et haïrois autant un
Aleman qui mist de l'eau au vin, qu'un François qui le buroit pur.
L'usage publiq donne loy à telles choses.
    Je crains un air empesché, et fuys mortellement la fumée :
(la premiere reparation où je courus chez moy, ce fut aux
cheminées, et aux retraictz, vice commun des vieux bastimens, et
insupportable :) et entre les difficultez de la guerre, comte
ces espaisses poussieres, dans lesquelles on nous tient enterrez au
chault, tout le long d'une journée. J'ay la respiration libre et
aysée : et se passent mes morfondements le plus souvent sans
offence du poulmon, et sans toux.
    L'aspreté de l'esté m'est plus ennemie que celle de
l'hyver : car outre l'incommodité de la chaleur, moins
remediable que celle du froid, et outre le coup que les rayons du
soleil donnent à la teste : mes yeux s'offencent de toute
lueur esclatante : je ne sçaurois à ceste heure disner assiz,
vis à vis d'un feu ardent, et lumineux. Pour amortir la blancheur
du papier, au temps que j'avois plus accoustumé de lire, je
couchois sur mon livre, une piece de verre, et m'en trouvois fort
soulagé. J'ignore jusques à present, l'usage des lunettes : et
vois aussi loing, que je fis onques, et que tout autre : Il
est vray, que sur le declin du jour, je commence à sentir du
trouble, et de la foiblesse à lire : dequoy l'exercice a
tousjours travaillé mes yeux : mais sur tout nocturne. Voyla
un pas en arriere : à toute peine sensible. Je reculeray d'un
autre ; du second au tiers, du tiers au quart, si coïement
qu'il me faudra estre aveugle formé, avant que je sente la
decadence et vieillesse de ma veuë. Tant les Parques destordent
artificiellement nostre vie. Si suis-je en doubte, que mon ouïe
marchande à s'espaissir : et verrez que je l'auray demy
perdue, que je m'en prendray encore à la voix de ceux qui parlent à
moy. Il faut bien bander l'ame, pour luy faire sentir, comme elle
s'escoule.
    Mon marcher est prompt et ferme : et ne sçay lequel des
deux, ou l'esprit ou le corps, j'ay arresté plus mal-aisément, en
mesme poinct. Le prescheur est bien de mes amys, qui oblige mon
attention, tout un sermon. Aux lieux de ceremonie, où chacun est si
bandé en contenance, où j'ay veu les dames tenir leurs yeux mesmes
si certains, je ne suis jamais venu à bout, que quelque piece des
miennes n'extravague tousjours : encore que j'y sois assis,
j'y suis peu rassis : Comme la chambriere du philosophe
Chrysippus, disoit de son maistre, qu'il n'estoit yvre que par les
jambes : car il avoit ceste coustume de les remuer, en quelque
assiette qu'il fust : et elle le disoit, lors que le vin
esmouvant ses compaignons, luy n'en sentoit aucune alteration. On a
peu dire aussi dés mon enfance, que j'avoy de la follie aux pieds,
ou de l'argent vif : tant j'y ay de remuement et d'inconstance
naturelle, en quelque lieu, que je les place.
    C'est indecence, outre ce qu'il nuit à la santé, voire et au
plaisir, de manger gouluement, comme je fais : Je mors souvent
ma langue, par fois mes doigts, de hastiveté. Diogenes, rencontrant
un enfant qui mangeoit ainsin, en donna un soufflet à son
precepteur. Il y avoit des hommes à Rome, qui enseignoyent à
mascher, comme à marcher, de bonne grace. J'en pers le loisir de
parler, qui est un si

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