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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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haïssoit toute sorte de
sauces, je les ayme toutes. Le trop manger m'empesche : mais
par sa qualité, je n'ay encore cognoissance bien certaine,
qu'aucune viande me nuise : comme aussi je ne remarque, ny
lune plaine, ny basse, ny l'automne du printemps. Il y a des
mouvemens en nous, inconstans et incognuz. Car des refors, pour
exemple, je les ay trouvez premierement commodes, depuis fascheux,
à present de rechef commodes. En plusieurs choses, je sens mon
estomach et mon appetit aller ainsi diversifiant : J'ay
rechangé du blanc au clairet, et puis du clairet au blanc. Je suis
friand de poisson, et fais mes jours gras des maigres : et mes
festes des jours de jeusne. Je croy ce qu'aucuns disent, qu'il est
de plus aisée digestion que la chair. Comme je fais conscience de
manger de la viande, le jour de poisson : aussi fait mon
goust, de mesler le poisson à la chair : Ceste diversité me
semble trop eslongnée.
    Dés ma jeunesse, je desrobois par fois quelque repas : ou à
fin d'esguiser mon appetit au lendemain (car comme Epicurus
jeusnoit et faisoit des repas maigres, pour accoustumer sa volupté
à se passer de l'abondance : moy au rebours, pour dresser ma
volupté, à faire mieux son profit, et se servir plus alaigrement,
de l'abondance) ou je jeusnois, pour conserver ma vigueur au
service de quelque action de corps ou d'esprit : car et l'un
et l'autre, s'apparesse cruellement en moy, par la repletion (Et
sur tout, je hay ce sot accouplage, d'une Deesse si saine et si
alegre, avec ce petit Dieu indigest et roteur, tout bouffy de la
fumée de sa liqueur) ou pour guarir mon estomach malade : ou
pour estre sans compaignie propre. Car je dy comme ce mesme
Epicurus, qu'il ne faut pas tant regarder ce qu'on mange, qu'avec
qui on mange. Et louë Chilon, de n'avoir voulu promettre de se
trouver au festin de Periander, avant que d'estre informé, qui
estoyent les autres conviez. Il n'est point de si doux apprest pour
moy, ny de sauce si appetissante, que celle qui se tire de la
societé.
    Je croys qu'il est plus sain, de manger plus bellement et
moins : et de manger plus souvent : Mais je veux faire
valoir l'appetit et la faim : je n'aurois nul plaisir à
trainer à la medecinale, trois ou quatre chetifs repas par jour,
ainsi contrains. Qui m'asseureroit, que le goust ouvert, que j'ay
ce matin, je le retrouvasse encore à souper ? Prenons, sur
tout les vieillards : prenons le premier temps opportun qui
nous vient. Laissons aux faiseurs d'almanachs les esperances et les
prognostiques. L'extreme fruict de ma santé, c'est la
volupté : tenons nous à la premiere presente et cognuë.
J'evite la constance en ces loix de jeusne. Qui veut qu'une forme
luy serve, fuye à la continuer ; nous nous y durcissons, nos
forces s'y endorment : six mois apres, vous y aurez si bien
acoquiné vostre estomach, que vostre proffit, ce ne sera que
d'avoir perdu la liberté d'en user autrement sans dommage.
    Je ne porte les jambes, et les cuisses, non plus couvertes en
hyver qu'en esté, un bas de soye tout simple : Je me suis
laissé aller pour le secours de mes reumes, à tenir la teste plus
chaude, et le ventre, pour ma colique : Mes maux s'y
habituerent en peu de jours, et desdaignerent mes ordinaires
provisions. J'estois monté d'une coiffe à un couvrechef, et d'un
bonnet à un chapeau double. Les embourreures de mon pourpoint, ne
me servent plus que de galbe : ce n'est rien : si je n'y
adjouste une peau de lievre, ou de vautour : une calote à ma
teste. Suyvez ceste gradation, vous irez beau train. Je n'en feray
rien. Et me dedirois volontiers du commencement que j'y ay donné,
si j'osois. Tombez vous en quelque inconvenient nouveau ?
ceste reformation ne vous sert plus : vous y estes accoustumé,
cherchez en une autre : Ainsi se ruinent ceux qui se laissent
empestrer à des regimes contraincts, et s'y astreignent
superstitieusement : il leur en faut encore, et encore apres,
d'autres au delà : ce n'est jamais fait.
    Pour nos occupations, et le plaisir : il est beaucoup plus
commode, comme faisoyent les anciens, de perdre le disner, et
remettre à faire bonne chere à l'heure de la retraicte et du repos,
sans rompre le jour : ainsi le faisois-je autresfois. Pour la
santé, je trouve depuis par experience au contraire, qu'il vaut
mieux disner, et que la digestion se faict mieux en veillant.
    Je ne suis guere subject à estre alteré ny sain ny malade :
j'ay bien volontiers lors la bouche seche, mais sans

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