Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
plain ; autant comme je trouve l'exercice de crier,
et contester, avant le repas, tressalubre et plaisant. Les anciens
Grecs et Romains avoyent meilleure raison que nous, assignans à la
nourriture, qui est une action principale de la vie, si autre
extraordinaire occupation ne les en divertissoit, plusieurs heures,
et la meilleure partie de la nuict : mangeans et beuvans moins
hastivement que nous, qui passons en poste toutes noz
actions : et estendans ce plaisir naturel, à plus de loisir et
d'usage, y entresemans divers offices de conversation, utiles et
aggreables.
    Ceux qui doivent avoir soing de moy, pourroyent à bon marché me
desrober ce qu'ils pensent m'estre nuisible : car en telles
choses, je ne desire jamais, ny ne trouve à dire, ce que je ne vois
pas : Mais aussi de celles qui se presentent, ils perdent leur
temps de m'en prescher l'abstinence : Si que quand je veux
jeusner, il me faut mettre à part des souppeurs ; et qu'on me
presente justement, autant qu'il est besoin pour une reglée
collation : car si je me mets à table, j'oublie ma
resolution.
    Quand j'ordonne qu'on change d'apprest à quelque viande ;
mes gens sçavent, que c'est à dire, que mon appetit est allanguy,
et que je n'y toucheray point. En toutes celles qui le peuvent
souffrir, je les ayme peu cuittes. Et les ayme fort
mortifiées ; et jusques à l'alteration de la senteur, en
plusieurs. Il n'y a que la dureté qui generalement me fasche (de
toute autre qualité, je suis aussi nonchalant et souffrant qu'homme
que j'aye cogneu) si que contre l'humeur commune, entre les
poissons mesme, il m'advient d'en trouver, et de trop frais, et de
trop fermes. Ce n'est pas la faute de mes dents, que j'ay eu
tousjours bonnes jusques à l'excellence ; et que l'aage ne
commence de menasser qu'à cette heure. J'ay apprins dés l'enfance,
à les frotter de ma serviette, et le matin, et à l'entrée et issuë
de la table.
    Dieu faict grace à ceux, à qui il soustrait la vie par le menu.
C'est le seul benefice de la vieillesse. La derniere mort en sera
d'autant moins plaine et nuisible : elle ne tuera plus qu'un
demy, ou un quart d'homme. Voila une dent qui me vient de choir,
sans douleur, sans effort : c'estoit le terme naturel de sa
durée. Et cette partie de mon estre, et plusieurs autres, sont
desja mortes, autres demy mortes, des plus actives, et qui tenoyent
le premier rang pendant la vigueur de mon aage. C'est ainsi que je
fons, et eschappe à moy. Quelle bestise sera-ce à mon entendement,
de sentir le sault de cette cheute, desja si avancée, comme si elle
estoit entiere ? Je ne l'espere pas.
    A la verité, je reçoy une principale consolation aux pensées de
ma mort, qu'elle soit des justes et naturelles : et que
mes-huy je ne puisse en cela, requerir ny esperer de la destinée,
faveur qu'illegitime. Les hommes se font accroire, qu'ils ont eu
autres-fois, comme la stature, la vie aussi plus grande. Mais ils
se trompent, et Solon, qui est de ces vieux temps-là, en taille
pourtant l'extreme durée à soixante et dix ans. Moy qui ay tant
adoré et si universellement cet ἄριστον μέτρον, du temps
passé : et qui ay tant prins pour la plus parfaicte, la
moyenne mesure : pretendray-je une desmesurée et prodigieuse
vieillesse ? Tout ce qui vient au revers du cours de nature,
peut estre fascheux : mais ce, qui vient selon elle, doibt
estre tousjours plaisant.
Omnia, quæ secundum naturam fiunt,
sunt habenda in bonis
. Par ainsi, dit Platon, la mort, que les
playes ou maladies apportent, soit violente : mais celle, qui
nous surprend, la vieillesse nous y conduisant, est de toutes la
plus legere, et aucunement delicieuse.
Vitam adolescentibus,
vis aufert, senibus maturitas
.
    La mort se mesle et confond par tout à nostre vie : le
declin præoccupe son heure, et s'ingere au cours de nostre
avancement mesme. J'ay des portraits de ma forme de vingt et cinq,
et de trente cinq ans : je les compare avec celuy
d'asteure : Combien de fois, ce n'est plus moy : combien
est mon image presente plus eslongnée de celles là, que de celle de
mon trespas. C'est trop abusé de nature, de la tracasser si loing,
qu'elle soit contrainte de nous quitter : et abandonner nostre
conduite, nos yeux, nos dens, nos jambes, et le reste, à la mercy
d'un secours estranger et mandié : et nous resigner entre les
mains de l'art, las de nous suyvre.
    Je ne suis excessivement desireux, ny de salades, ny de
fruits : sauf les melons. Mon pere

Weitere Kostenlose Bücher