Les Essais
que la fin de son travail, c'estoit
travailler.
Nil actum credens cum quid superesset
agendum
.
Pour moy donc, j'ayme la vie, et la cultive, telle qu'il à pleu
a Dieu nous l'octroyer : Je ne vay pas desirant, qu'elle eust
à dire la necessité de boire et de manger. Et me sembleroit faillir
non moins excusablement, de desirer qu'elle l'eust double.
Sapiens divitiarum naturalium quæsitor acerrimus
. Ny que
nous nous substantassions, mettans seulement en la bouche un peu de
ceste drogue par laquelle Epimenides se privoit d'appetit, et se
maintenoit. N'y qu'on produisist stupidement des enfans, par les
doigts, ou par les talons, ains parlant en reverence, que plustost
encores, on les produisist voluptueusement, par les doigts, et par
les talons. Ny que le corps fust sans desir et sans chatouillement.
Ce sont plaintes ingrates et iniques. J'accepte de bon coeur et
recognoissant, ce que nature a faict pour moy : et m'en aggree
et m'en loue. On faict tort à ce grand et tout puissant donneur, de
refuser son don, l'annuller et desfigurer, tout bon, il a faict
tout bon.
Omnia quæ secundum naturam sunt ; æstimatione
digna sunt
. Des opinions de la Philosophie, j'embrasse plus
volontiers celles qui sont les plus solides : c'est à dire les
plus humaines, et nostres : Mes discours sont conformément à
mes moeurs, bas et humbles. Elle faict bien l'enfant à mon gré,
quand elle se met sur ses ergots, pour nous prescher, Que c'est une
farrouche alliance, de marier le divin avec le terrestre, le
raisonnable avec le desraisonnable, le severe à l'indulgent,
l'honneste au des-honneste. Que la volupté, est qualité brutale,
indigne que le sage la gouste. Le seul plaisir, qu'il tire de la
jouyssance d'une belle jeune espouse, que c'est le plaisir de sa
conscience, de faire une action selon l'ordre. Comme de chausser
ses bottes, pour une utile chevauchee. N'eussent ses suyvans, non
plus de droit, et de nerfs, et de suc, au despucelage de leurs
femmes, qu'en a sa leçon. Ce n'est pas ce que dict Socrates, son
precepteur et le nostre. Il prise, comme il doit, la volupté
corporelle : mais il prefere celle de l'esprit, comme ayant
plus de force, de constance, de facilité, de varieté, de dignité.
Ceste cy ne va nullement seule, selon luy ; il n'est pas si
fantastique : mais seulement, premiere. Pour luy, la
temperance est moderatrice, non adversaire des voluptez.
Nature est un doux guide : Mais non pas plus doux, que
prudent et juste.
Intrandum est in rerum naturam, et penitus
quid ea postulet, pervidendum
. Je queste par tout sa
piste : nous l'avons confondüe de traces artificielles. Et ce
souverain bien Academique, et Peripatetique, qui est vivre selon
icelle : devient à ceste cause difficile à borner et
expliquer. Et celuy des Stoïciens, voisin à celuy-là, qui est,
consentir à nature. Est-ce pas erreur, d'estimer aucunes actions
moins dignes de ce qu'elles sont necessaires ? Si ne
m'osteront-ils pas de la teste, que ce ne soit un tresconvenable
mariage, du plaisir avec la necessité, avec laquelle, dit un
ancien, les Dieux complottent tousjours. A quoy faire desmembrons
nous en divorce, un bastiment tissu d'une si joincte et fraternelle
correspondance ? Au rebours, renouons le par mutuels
offices : que l'esprit esveille et vivifie la pesanteur du
corps, le corps arreste la legereté de l'esprit, et la fixe.
Qui velut summum bonum, laudat animæ naturam, et tanquam malum,
naturam carnis accusat, profecto et animam carnaliter appetit, et
carnem carnaliter fugit, quoniam id vanitate sentit humana, non
veritate divina
. Il n'y a piece indigne de nostre soin, en ce
present que Dieu nous a faict : nous en devons comte jusques à
un poil. Et n'est pas une commission par acquit à l'homme, de
conduire l'homme selon sa condition : Elle est expresse,
naïfve et tresprincipale : et nous l'a le Createur donnee
serieusement et severement. L'authorité peut seule envers les
communs entendemens : et poise plus en langage peregrin.
Reschargeons en ce lieu.
Stultitiæ proprium quis non dixerit,
ignavè et contumaciter facere quæ facienda sunt : et alio
corpus impellere, alió animum : distrahique inter
diversissimos motus ?
Or sus pour voir, faictes vous dire un jour, les amusemens et
imaginations, que celuy-là met en sa teste, et pour lesquelles il
destourne sa pensee d'un bon repas, et plainct l'heure qu'il
employe à se nourrir : vous trouverez qu'il n'y a rien si
fade, en tous les mets de vostre table, que
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