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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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nee,
pernicieux à une autre ame et dommageable. Ou plustost, chose de
tres-precieux usage, qui ne se laisse pas posseder à vil
prix : en quelque main c'est un sceptre, en quelque autre, une
marotte. Mais suyvons.
    Quelle plus grande victoire attendez vous, que d'apprendre à
vostre ennemy qu'il ne vous peut combattre ? Quand vous
gaignez l'avantage de vostre proposition, c'est la verité qui
gaigne : quand vous gaignez l'avantage de l'ordre, et de la
conduitte, c'est vous qui gaignez. Il m'est advis qu'en Platon et
en Xenophon Socrates dispute plus, en faveur des disputants qu'en
faveur de la dispute : et pour instruire Euthydomus et
Protagoras de la cognoissance de leur impertinence, plus que de
l'impertinence de leur art. Il empoigne la premiere matiere, comme
celuy qui a une fin plus utile que de l'aisclaircir, assavoir
esclaircir les esprits, qu'il prend à manier et exercer.
L'agitation et la chasse est proprement de nostre gibier, nous ne
sommes pas excusables de la conduire mal et impertinemment :
de faillir à la prise, c'est autre chose. Car nous sommes nais à
quester la verité, il appartient de la posseder à une plus grande
puissance. Elle n'est pas, comme disoit Democritus, cachee dans le
fonds des abysmes : mais plustost eslevee en hauteur infinie
en la cognoissance divine. Le monde n'est qu'une escole
d'inquisition. Ce n'est pas à qui mettra dedans, mais à qui fera
les plus belles courses. Autant peut faire le sot, celuy qui dit
vray, que celuy qui dit faux : car nous sommes sur la maniere,
non sur la matiere du dire. Mon humeur est de regarder autant à la
forme, qu'à la substance : autant à l'advocat qu'à la cause,
comme Alcibiades ordonnoit qu'on fist.
    Et tous les jours m'amuse à lire en des autheurs, sans soing de
leur science : y cherchant leur façon, non leur subject. Tout
ainsi que je poursuy la communication de quelque esprit fameux, non
affin qu'il m'enseigne, mais affin que je le cognoisse, et que le
cognoissant, s'il le vaut, je l'imite.
    Tout homme peut dire veritablement, mais dire ordonnement,
prudemment, et suffisamment, peu d'hommes le peuvent. Par ainsi la
fauceté qui vient d'ignorance, ne m'offence point : c'est
l'ineptie. J'ay rompu plusieurs marchez qui m'estoient utiles, par
l'impertinence de la contestation de ceux, avec qui je marchandois.
Je ne m'esmeux pas une fois l'an, des fautes de ceux sur lesquels
j'ay puissance : mais sur le poinct de la bestise et
opiniastreté de leurs allegations, excuses et defences, asnieres et
brutales, nous sommes tous les jours à nous en prendre à la gorge.
Il n'entendent ny ce qui se dit, ny pourquoy, et respondent de
mesme : c'est pour desesperer. Je ne sens heurter rudement ma
teste, que par une autre teste. Et entre plustost en composition
avec le vice de mes gens, qu'avec leur temerité, importunité et
leur sottise. Qu'ils facent moins, pourveu qu'ils soient capables
de faire. Vous vivez en esperance d'eschauffer leur volonté :
Mais d'une souche, il n'y a ny qu'esperer, ny que jouyr qui
vaille.
    Or quoy, si je prens les choses autrement qu'elles ne
sont ? Il peut estre. Et pourtant j'accuse mon impatience. Et
tiens, premierement, qu'elle est esgallement vitieuse en celuy qui
a droit, comme en celuy qui a tort : Car c'est tousjours
un'aigreur tyrannique, de ne pouvoir souffrir une forme diverse à
la sienne : Et puis, qu'il n'est à la verité point de plus
grande fadese, et plus constante, que de s'esmouvoir et piquer des
fadeses du monde, ny plus heteroclite. Car elle nous formalise
principallement contre nous : et ce philosophe du temps passé
n'eust jamais eu faute d'occasion à ses pleurs, tant qu'il se fust
consideré. Mison l'un des sept sages, d'une humeur Timoniene et
Democritiene interrogé, dequoy il rioit seul : De ce que je
ris seul : respondit-il.
    Combien de sottises dis-je, et respons-je tous les jours, selon
moy : et volontiers donq combien plus frequentes, selon
autruy ? Si je m'en mors les levres, qu'en doivent faire les
autres ? Somme, il faut vivre entre les vivants, et laisser la
riviere courre sous le pont, sans nostre soing : ou à tout le
moins, sans nostre alteration. De vray, pourquoy sans nous
esmouvoir, rencontrons nous quelqu'un qui ayt le corps tortu et mal
basty, et ne pouvons souffrir le rencontre d'un esprit mal rengé,
sans nous mettre en cholere ? Cette vitieuse aspreté tient
plus au juge, qu'à la faute. Ayons tousjours en la bouche ce mot de
Platon : Ce que je

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