Les fiancés de Venise
saurais imaginer qu’une simple remise de rançon vous mette en difficulté.
1 - Voir L’impératrice lève le masque , op. cit . ( N.d.T .)
24
Au fond, pensa Tron peu après minuit en observant, appuyé sur le bastingage de l’ Archiduc Sigmund , les lumières du port de Trieste disparaissant à l’horizon, il aurait dû se réjouir de l’issue de l’entretien. L’archiduc était innocent. Le soupçon qui aurait pu compromettre son départ au Mexique s’était évanoui. Certes, le commissaire avait peine à imaginer que son gouvernement remboursât quelque chose. Mais la seule reconnaissance des dettes suffirait à faire remonter la valeur des emprunts et à sauver la princesse de la ruine.
Le malaise que Tron ressentait pourtant tenait aux conséquences de cette bonne nouvelle. Si son amie avait repoussé le mariage par peur de difficultés financières, ils avaient fait un grand pas en direction des noces. Or c’était là que commençaient pour lui les ennuis. Devait-il emménager chez la princesse ? Chez Moussada et Massouda ? Il était persuadé que le luxueux univers d’opérette du palais Balbi-Valier ne tarderait pas à l’agacer au plus haut point. En outre, il n’envisageait pas d’abandonner sa mère et Alessandro. D’un autre côté, il était peu probable que la princesse accepte de s’installer dans le palais Tron, étant donné ses relations avec la comtesse. Surtout, elle refuserait d’occuper les étages supérieurs, ce n’était pas la peine d’y songer.
Le commissaire lâcha la rampe du bastingage et s’avança d’un pas lent vers l’écoutille qui menait en première classe. Tandis qu’il ouvrait la serrure de sa cabine, il constata avec résignation qu’il s’était habitué au rôle d’éternel fiancé comme à un vieux divan légèrement défoncé.
Une demi-heure plus tard, il se laissait bercer par le martèlement sourd de la machine à vapeur et le claquement des énormes roues à aubes contre les vagues. Il s’étonnait d’entendre au loin une sorte de tonnerre car à l’issue d’une journée pluvieuse, la couche de nuages s’était déchirée vers le soir. Tron avait même admiré la pureté de l’air et regardé les étoiles. Il s’endormit. La dernière image qu’il perçut avant de sombrer dans un sommeil sans rêve fut le visage de son amie, ses yeux verts qui le fixaient avec une expression qu’il ne parvenait pas à interpréter.
Le lendemain midi, il alla déjeuner chez la princesse qui resta de glace en apprenant l’innocence de Maximilien. Elle n’avait de toute façon jamais cru qu’il fût mêlé au crime. Elle ne fut pas surprise non plus qu’il ait confié à Tron le soin de récupérer les photographies.
— Sais-tu qui pourrait être à l’origine de ce chantage ? lui demanda-t-elle.
Elle se pencha sur son assiette et poussa la dernière feuille de chicorée grillée, le radicchio alla griglia . Les domestiques avaient servi de la pintade, de la faraona con la peverada , mais depuis quelque temps, la princesse se contentait de salade.
— Nous supposons qu’il s’agit de l’assassin, répondit-il en reprenant pour la troisième fois de la mousse au chocolat dans le plat en argent qu’un des Éthiopiens avait posé sur la table.
Le dessert était si léger que la cuillère semblait voler dans cette substance aérienne. Tron jouait avec l’idée d’introduire une page culinaire dans l’ Emporio della Poesia . De toute façon, après les vers de Spaur, plus rien n’avait d’importance.
— Vas-tu y aller armé ?
Il secoua la tête.
— Pourquoi cela ?
Elle plissa les yeux.
— Tu as tout de même affaire à un assassin.
— Oui, mais il n’a aucune raison de me tuer. Il va me montrer les photographies, compter l’argent et prendre la poudre d’escampette.
— Un rendez-vous entre hommes, donc, lâcha-t-elle d’une voix franchement soucieuse.
— Cela paraît bien théâtral, la rassura-t-il avec un sourire.
Elle garda une mine grave.
— Cette histoire ne me plaît pas, Tron. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas, j’ai un mauvais pressentiment.
Puis elle dit sans transition :
— Changeons de sujet. Tu sais qu’Alessandro est venu ici ?
— Alessandro ?
— Oui. Hier midi. Je l’ai prié de rester à déjeuner. Il a beaucoup admiré le monte-plat… ainsi que la tenue de mes domestiques, ajouta-elle en jetant un coup d’œil à Moussada (ou était-ce Massouda ?).
Elle
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