Les fils de Bélial
victimes à leur dieu, ne sommes-nous pas leurs émules ? Le Dieu de clémence et de bonté que vous avez l’heur de représenter ne vous adresse-t-il pas parfois un signe de réprobation ?
Tristan sentit que la fureur du prêtre se haussait d’un degré :
– Ne compare jamais Dieu, le nôtre, à Yahweh ! Car il est terrible… Tu ne le connais point.
« Et lui, Béranger, connaît-il le nôtre ? »
– Terrible, reprenait l’ecclésiastique. « Si vous méprisez mes lois », dit Yahweh aux Juifs, « j’enverrai sur vous la terreur, la consomption et la fièvre qui font languir les yeux et défaillir l’âme. Vous sèmerez en vain votre semence ; vos ennemis la mangeront. »
– C’est ce que nous faisons céans au nom de Jésus-Christ !
– « Je tournerai ma face contre vous et vous serez battus par vos ennemis. Ceux qui vous haïssent domineront sur vous et vous fuirez sans que personne vous poursuive. Je briserai l’orgueil de votre force ; je tendrai votre ciel comme de fer et votre terre comme d’airain. Je lâcherai contre vous des animaux sauvages qui vous raviront vos enfants, déchireront votre bétail et vous réduiront à un petit nombre, et vos chemins deviendront des déserts… J’enverrai la peste parmi vous. Vous mangerez la chair de vos fils et de vos filles. Je réduirai vos cités en déserts et vous disperserai parmi les nations Voilà ce que leur dit leur dieu… Est-ce un dieu de bonté selon toi ?
Tristan ne répondit pas. Son silence inquiéta l’homme dont la soutane portait des traces de sang et de boue et dont une ceinture de cuir large et cloutée soutenant un poignard surmontait la cordelière.
– Cette Juive, dis-moi, l’aurais-tu épousée ?
– J’ai déjà une épouse… Vous nous avez mariés.
– Eh bien, n’y pense plus. L’aurais-tu épousée ?
– Si je l’avais aimée, oui, assurément… et si elle m’avait accepté pour mari.
– Mais tu ne l’aimais point parce qu’elle était Juive ?
Cette inquisition avait agacé Tristan. Maintenant, elle l’indignait.
– Non… Elle n’était pas du genre dont j’aurais pu m’éprendre.
– Mais elle était du genre juif ! Les femmes y sont troublantes et malicieuses… C’est sa malice qui a agi sur toi.
Cette fois, Tristan sourit : Teresa malicieuse ! Décidément, tout était bon à cet homme de Dieu pour salir la jeune défunte. Concevant qu’il s’égarait en stériles propos, frère Béranger désigna la cathédrale :
– Vois comme cette église est puissante, imposante… Les édifices érigés à la gloire de Dieu ont tous cette majesté… cet orgueil même, oserai-je dire. J’en ai vu de différents loin d’où nous sommes : en Grèce… Je ne sais quand ils y ont été bâtis, mais ils sont vieux, très vieux. On les construisit en marbre, à la gloire d’une grand’foison de dieux du paienisme 156 … Je me garderai bien de te parler des images de pierre que j’ai pu voir dans ce pays ! Ces hommes et ces femmes nus qui furent moult adorés. La vérité, elle aussi toute nue, c’est que les imagiers taillaient la pierre et le marbre magnifiquement. Cela dura des siècles, m’a-t-on dit…
Tristan se demanda comment et pourquoi cet homme qu’il n’avait jamais apprécié s’était rendu dans ce pays dont il ne connaissait que le nom. Il n’eut pas à questionner le clerc – et c’était à croire qu’il avait deviné ses pensées.
– C’est Gautier de Brienne qui m’envoya dans ces contrées où les hommes sont amants et les femmes amantes… La débauche est partout. Elle se résorbera peu à peu sous l’effet de nos frères prêcheurs… que j’ai conduits…
– Le duc d’Athènes… murmura Tristan.
Il ignorait si le connétable s’était rendu en Grèce. Il ne s’était jamais intéressé à cet homme, sauf à Poitiers où il s’était montré d’une prudence extrême, ce qui ne l’avait pas empêché d’être occis. On avait raconté, ne le voyant point, qu’il était allé mettre en garde la cité de Bourges avec deux chevaliers envoyés de par le roi de France : le sire de Gousant 157 et Hutin de Vermeilles. En fait, il se tenait à l’écart au fond de l’armée, comme s’il pressentait son trépas et voulait s’y préparer dans la quiétude.
– Eh oui, le duc d’Athènes auquel j’ai dit ce que j’avais vu et ouï dans cette cité… Mais là n’est pas l’important. Ce
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