Les fils de Bélial
qu’il faut savoir, c’est que les images que j’ai contemplées, si belles qu’elles me soient apparues, étaient celles d’une déchéance dont les Juifs furent responsables 158 . Le poison contenu dans leurs propos détruisit, avec leurs facultés créatrices, la sérénité des Hellènes. Leurs sciences hermétiques, enfermant de troublantes et fallacieuses rêveries, servaient toujours quelque culte mystique… Crois-moi, mon fils, ces gens-là sont un peuple orgueilleux de leur ignorance. Ils dédaignent toute activité de la pensée. Ils aiment à violenter le goût, à défier les délicats, à s’exhiber volontairement dans une espèce de crasse. Ils ont la haine du beau et pour eux, la beauté est une offense. Ils veulent en tyrans l’égalité, mais ricanent de ceux qui s’emploient à son avènement. Ils ignorent que la foi consiste à mettre toute vérité en évidence, à l’extraire des éléments qui la souillent ou la ternissent afin qu’elle brille comme un diamant. Ceci explique la prolixité de leur dialectique, leurs moyens retors, leurs ruses, les équivoques de leur langage. Malicieux ou violents, ils plaident sans trêve. Loin de saisir les causes mêmes de nos maux, de nos vices et leurs relations avec les faits externes, ils considèrent leurs actes comme autant de sacrements. Comment s’étonner de cette exiguïté de jugement chez des esprits qui conçoivent que le monde fut créé à leur intention ? Ils se considèrent comme le point concentrique d’un univers qui n’est point nôtre et dont leur dieu, Jéhovah, doit les favoriser seuls au détriment de la plupart de leurs semblables, surtout ceux qui diffèrent de leurs croyances particulières. Leur Jéhovah est un hutin ! Il fait reproche à tous, il maudit… mais les assure qu’ils sont ses fils élus, le peuple béni parmi les peuples. Ils n’existent qu’en vue du temple et pour le temple et leur morale se résume en dix articles qui tiennent du miraculeux. Révélée une fois pour toutes, elle ne procède pas des efforts accumulés de la créature à se découvrir progressivement dans sa conscience et sa responsabilité. Les docteurs de la Thora ne sont que des ergoteurs de préceptes qui, loin d’élargir la foi à de grands principes, la rabaissent à des pratiques et des dévotions compliquées qui contrarient les textes en palliatifs tortueux, les déformant ainsi jusqu’à l’absurde. Ils vivent tous dans l’attente du Messie…
– Et nous ? demanda Tristan. Ce que vous dites ne nous concerne-t-il pas ?
– Nous par rapport à eux ? s’étonna le clerc. Ce sont des paroleurs qui dansent en priant, tête basse, comme s’ils avaient à se faire pardonner en toute chose. Nous n’avons point crainte, nous, de regarder le Fils de Dieu droit dans les yeux, même quand nous sommes à genoux… Nous savons assumer nos fautes, nos péchés et même, s’il le faut, nos crimes… Holà ! Mon fils, où vas-tu ?
Tristan s’éloignait à grand pas. Il se détourna, mais à peine :
– Chez ce vieux Juif qui me confia Simon et Teresa. J’ai grand besoin qu’il me pardonne… Grand besoin !… Vous vitupérez par trop pour mon goût. Je ne suis qu’un homme simple et me veux dispenser de vos admonitions.
– Non ! Non !… Attends ! Attends ! Laisse-moi terminer !
Abasourdi et las, Tristan se résigna : « Quelles sornes va-t-il donc employer pour conclure ? Il s’enivre de mots dont il me saoule aussi !… C’est la dernière fois qu’il me prend dans ses rets !… Ah ! Oui, la dernière ! » Il fit front.
– Attends, répéta frère Béranger. Si je te dis tout cela, c’est par estime. Par tes propos, ton attitude et ton intransigeance, tu diffères énormément des autres… qui sont ce que tu sais… Je voudrais te convertir à la beauté des choses. J’ai marché, marché dans le monde… Oh ! je ne suis pas allé si loin que John Mandeville 159 qui visita l’Égypte et l’Orient… et en revint. La Grèce m’a suffi… Elle m’a merveillé, indigné, repoussé comme me merveillerait, indignerait et repousserait sans doute la terre de Jésus…
– … devriez, dit Tristan, y faire un pèlerinage. Cela vous serait plus profitable que l’Espagne où les ennemis de notre foi – selon vous – ne sont point armés... Or, les Mahoms le sont. Ils n’ont plus Saladin mais restent redoutables.
Il eut envie d’ajouter insidieusement : « Est-ce pour cela que
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