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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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comprenez ?
    « Oui », fit Tristan de la tête.
    Il n’osait trop croiser le regard du vieillard. Il ne se sentait nullement apaisé. Il n’était point surpris – ni indigné – que quelques enfants eussent péri. Seuls pour lui importaient Simon et Teresa. En demeurant claquemurés dans cette maison qui devait bien avoir une cachette sûre, ils eussent sans doute échappé au rapt et à l’occision.
    –  Je conçois, messire, votre indignation… et la partage.
    L’image de frère Béranger s’interposa soudain entre les visages des deux enfants, affadis déjà dans ses souvenirs, et celui de ce vieux drapier dolent qui semblait savoir et atermoyait pour s’exprimer davantage. Béranger ! Son verbe inspiré pouvait ravir les chefs de guerre jusqu’à Guesclin dont l’éloquence se bornait à des aboiements. Ah ! Oui, Béranger trapu et insolent dans sa bure écourtée ; son front bosselé, dur comme un roc, son œil étincelant sous un sourcil jarreux, le pli méprisant de sa bouche…
    « Qu’un vent impétueux disperse ses paroles !… Ah ! Certes, il saurait ce qu’il faut dire à cet homme à la barbe de prophète ! »
    –  Ils sont morts eux aussi, n’est-ce pas, mon ami ?
    « Mon ami  » ! Béranger eût dû entendre cela. «  Mon ami. » Un sanglot s’échappa d’une gorge durcie, et Tristan ne put se retenir de pleurer comme un enfant qui, tout à coup, se fut trouvé orphelin.
    –  Oui, messire… J’ai fait… nous avons fait tout ce que nous pouvions. Une embûche… Ils étaient quatre fois plus que nous. J’ai perdu trois hommes dans cette ahatie 162 . J’ai failli périr aussi. C’étaient des Bretons. Une fois guéri, j’ai occis deux de leurs chefs. Il en reste un… J’attends l’occasion…
    Il perçut le soupir que Joachim Pastor dominait difficilement afin de demeurer digne.
    –  Nous sommes, chevalier, égarés dans une forêt profonde. Toutes les clartés se sont éteintes. Nous attendons les bienfaits de Dieu mais il nous punit de nos excès. À force d’avoir fait fi de ses conseils, il nous amène au bord du gouffre…
    –  Je le crois aussi, messire.
    –  Cette guerre n’était point vôtre. Nous avions un roi terrible, cruel envers ses ennemis. Vous nous avez apporté, à la pointe de vos armes, un remplaçant qui ne trempe pas ses mains dans le sang d’autrui mais fait en sorte que ses truchements – Bretons et routiers -commettent eux aussi, à son instigation, des crimes inacceptables. La haine n’a cessé de tisonner l’Espagne. Nous avons l’expérience des passions brutales et des combats meurtriers depuis le Cid… et bien avant sa venue. La fleur de la vie humaine qui avait dépéri chez-nous va perdre tout ce qui composait sa beauté, sa couleur, son odeur. C’est une puanteur de sang et de viscères qui se répand sur l’Espagne, et je pressens que les malheurs qui nous assaillent ne sont qu’un commencement.
    Le vieillard s’animait sans qu’il prît pour autant plaisir à cette digression passionnée. N’osant imaginer la mort de deux en fants, il transposait sa douleur sur d’autres plans, mais en vérité, tous les mots qu’il employait aboutissaient à une seule expression : le deuil qui l’étouffait d’une étreinte fatale.
    –  Je n’ai plus rien au monde… La richesse n’est pas autre chose qu’une parure que l’on coud et recoud pour sa descendance. Le temps est venu où je dois poser l’aiguille. Les rejoindre.
    –  Non ! protesta Tristan.
    Il essaya de parler. Il en fut incapable. Ses sanglots, cependant, disaient combien il était désolé. Il se sentait à nouveau l’âme noire, misérable, déchirée comme lorsqu’il avait aperçu ce qui subsistait de Teresa et de Simon devant le campement ignoble.
    –  Hélas ! Chevalier, je m’éteindrai comme une flamme courbée sous un vent trop fort… Trop violent. Le temps n’est pas arrivé, nous en avons la preuve, où le loup et l’agneau paîtront côte à côte, ou le lion et le bœuf mangeront de la paille, où le serpent se nourrira de poussière. Plus de méfaits, de violences…
    Tristan comprit que ces paroles n’étaient point venues toutes seules sur la bouche du vieillard. Il les avait apprises depuis longtemps, mais il les proférait peut-être pour la première fois. Quel prophète les avait lancées aux quatre vents ? Isaïe ? Jérémie ? Frère Béranger eût sans doute été à même de lui fournir un

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