Les fils de Bélial
inclémentes ? Jamais Édouard ne monterait jusqu’ici. Toutes les chances étaient en faveur d’Henri et de Guesclin : ils disposaient d’une cavalerie importante et, surtout, d’une infanterie et d’une archerie habituées à la guerre de montagne, d’où un avantage énorme sur des troupes armées lourdement qui, de surcroît, ignoraient le terrain où elles ne tarderaient pas à s’engager.
*
Sans que la froidure s’adoucît, le ciel redevint bleu. Puis la neige fondit les après-midi pour redurcir lors des vesprées. Les abords de Zaldiarân se couvrirent de tentes de toile ou de peaux de bêtes. Plutôt que de donner le fourrage aux chevaux dans les écuries et les étables, on l’étendit par touffes à l’extérieur de l’enceinte. Cinglé par le vent des cimes, l’air plus clément revigora la plupart des bêtes. Au coucher du soleil, elles réintégraient leur gîte à l’intérieur du château. Les moins chanceuses passaient la nuit avec la piétaille, auprès des feux où flamboyaient des sapins entiers.
L’oisiveté de Tristan le poussait soit hors des murs, soit sur leurs larges aleoirs 221 . Il contemplait les sommets à l’entour, les insondables cavités rocheuses où s’aventurait parfois la couleuvre d’un chemin et, delà, les fragments de plaine où des arbres, peu à peu quittaient leur harnois glacé.
Attendre. Il ignorait ce qu’on attendait, mais ce dont il était certain, c’était que la résignation alourdissait ses pensées tandis que sa santé dépérissait. On mangeait peu, à Zaldiarân ; le vin même chaud y était rare. Le froid sec du dehors, humide du dedans, nouait durcissait les muscles. On dormait mal sur une plate litière. Les murs suintaient. Il regrettait de ne pouvoir fréquemment se laver. Par deux fois, à l’aube, en se traitant de frileux pour se donner du courage, il était allé se rouler, se frotter dans un carré de neige épais et propre. Maintenant, elle était devenue boue.
Henri et sa petite cour ne sortaient que pour arpenter le chemin de ronde et se pencher parfois, entre deux merlons pointus, à la recherche des Anglais. Il advenait que, cédant à l’émoi d’une hallucination, Henri tendit l’index en criant : « Là ! » Il se méprenait, confondant l’ombre d’un nuage entre deux versants et le cheminement de l’armée adverse. La nuit, suivi de deux porteurs de flambeau tout aussi enveloppés que lui dans une épaisse galvardine, le roi guettait quelques lueurs. Il n’y avait que celles, immobiles, des étoiles.
À chaque aube un soleil sinistre se levait. Non pas rouge : cramoisi. Le sang tombé du ciel coulait sur les montagnes comme de larges coupures faites à leur têtes, suintait dans les gorges profondes, – les barranjcas -, teintait çà et là l’eau pétrifiée d’une grande mare pour se putréfier on ne savait où.
Paindorge se disait démangé par l’envie de partir, Tristan n’osait trop réprouver son franc-parler et son impatience, ni d’ailleurs Lemosquet et Lebaudy. Aucun homme ne venait d’en-bas, porteur d’un message. Aucun ne descendait pour savoir où se trouvaient les Anglais et ce qu’ils préparaient. Audrehem, disait-on, dormait toute la journée ; le Bègue de Villaines, avec la pointe d’un clou, gravait sur les murs des jouteurs et des tournoyeurs. Les autres Français jouaient aux jonchets avec des brins de paille.
– Que fait Guesclin, messire ? À-t-il amené sa putain jusqu’ici ? On dit qu’elle se vêt en homme…
– Peu me chaut, Robert, qu’elle soit là ou non.
– C’est lui qui a voulu venir à Zaldiarân.
– Lui ou un autre… N’aie crainte : il médite son coup. C’est un bidau, un pétau 222 qui dans le bien comme dans le mal sait toujours ce qu’il fait. Un homme sans attemprance 223 . Tu verras qu’un jour, nous irons au-devant des Goddons.
Un matin, une rumeur circula : on allait descendre escarmoucher don Pèdre et ses alliés. On sut qu’au cours de la nuit, un chevaucheur était parvenu jusqu’au roi pour lui apprendre que les manants et les bourgeois de Salvatierra s’étaient montrés si empressés envers les Anglais que ceux-ci, pleins de confiance, n’avaient point hésité à continuer leur avance. Ils progressaient vers l’ouest : Vitoria sans doute. Ils suivraient certainement le cours du rio Zadorra en direction de Miran de Ebro et Haro pour obliquer vers l’est et Logrof. Comment connaître leurs
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