Les fils de Bélial

pequena caballeria fecite 232  ! grommela un écuyer qui avait insinué son cheval entre Malaquin et Tachebrun.
    Tristan le remercia d’un sourire :
    –  Les escuderos 233 , messire, me semblent avoir plus de cœur et de mémoire que les caballeros. Mais voyez ce qui nous attend : nos anciens compères se préparent à nous donner le baptême du sang.
    Les Anglais avaient apprêté leurs armes : épée, vouge, épieu. La guisarme espagnole, plus petite plus étroite que la française, et le fléau d’armes à deux têtes de fer garnies d’aiguillons pesaient à leur dextre ils avaient eu le temps, sur les champs de batailles, se composer des harnois solides et de se fournir en et bon acier.
    –  On va leur passer sur le corps. Nous sommes à cinq contre un, dit un Français que Tristan ne put reconnaître.
    –  On va en faire un grand essart 234  ! affirma don Tello. Messires, pour le roi et la Castille !… Brochons 235  !
    La cavalerie s’ébranla. Tristan et Paindorge suivirent, l’épée au poing, et se trouvèrent soudain sur la troisième ligne tant, autour d’eux, les Castillans et les Français avaient hâte de trancher l’ennemi, de l’assommer ou de l’empoindre. Ils ne sentaient plus le froid. La sueur de la mort, sur leur dos lourd de fer, avait une tiédeur presque bienfaisante. Tristan regretta d’avoir renoncé à prendre son écu pour se protéger des épieux dont il discernait mal la pointe.
    –  Dieu jugera !
    Il y eut des cris, des heurts d’armes, des hurleries et hennissements. La haie adverse se rompit. Tristan et son écuyer la franchirent sans avoir à atteindre ou dégager quoi que ce fût. Comme ils se retournaient indemnes, pour revenir sans grande hargne à la bataille, ils virent fuir les Anglais vers un homme qui, auprès de son cheval, avait assisté à la charge. C’est un géant de placide apparence.
    –  Calveley ! dit Tristan. Il a vu cette empainte (480) . Les réchappés galopent vers lui. Il nous fera payer cette humiliation.
    Il eût fallu poursuivre les perdants pour éprouver la satisfaction d’une victoire probante, avérée. Don Tello s’y opposa.
    –  Il nous faut, hurla-t-il nous saisir de Lancastre.
    Sans souci des morts et des blessés – Anglais, Castillans, Français -, on repartit. La compagnie de don Tello se grossit de quelques centaines d’hommes qu’Henri, peut-être, avait envoyés en renfort. Les Bretons et leur dieu n’étaient pas parmi eux.
    –  À quoi songes-tu ? demanda Tristan à Paindorge.
    –  À l’été, messire. À me ventrouiller dans une rivière pour en sortir propre et revigoré.
    –  Je me contenterais d’une baignerie à Paris. Si nous y revenons, je t’offrirai un bain pour souper 236 .
    –  Je vous en regracie à l’avance. Où irons-nous si nous ne périssons pas en Espagne ?
    –  À l’hôtel Saint-Pol. Les étuves qu’on y trouve sont à toutes celles de Paris ce qu’une couronne d’or est à des chaperons. Des fournaises qu’on dit les plus belles de France et le plus grand fournois. Elles ont un pavement en pierre de liais, des lambris des bois d’Irlande et des portes de fer treillisé. Les cuves sont aussi en bois d’Irlande avec des cercles de cuivre maintenus par des bossettes dorées. J’y suis allé il y a longtemps. Mais nous pourrions aussi aller aux étuves du Palais, à la pointe de la Cité. Il y a des lits. Les ablutions faites, on peut s’étendre sur des matelas de coton, voire si l’on y met le prix, sur des draperies de Chypre. On peut se faire oindre le corps d’huile douce et fleurant bon par de belles dames et boire de l’hypocras. On a jusqu’à deux fonds de bain 237 par personne.
    Mieux valait confabuler ainsi que de penser à la prochaine bataille. Elle ne pourrait être que terrible : L an castre et certainement Chandos !
    –  Apprêtez-vous ! hurla don Tello.
    Les épées, – quelques unes ensanglantées – jaillirent des fourreaux. Les épieux et les armes d’hast quittèrent les épaulières où elles reposaient pour s’appuyer, par leur arestuel, sur le bout du pied ou le faucre de l’étrier. Tristan, Teresa au poing, ne vit rien de ce que les hommes d’avant-garde découvraient devant eux, même comme le pas des chevaux devenait trot, il devina que le camp de Lancastre était en vue. Peu importait maintenant le nombre d’hommes qui le composaient, leurs titres et leur bachelerie 238 . Il fallait avancer dans le tambourinement des