Les fils de Bélial
centaine de cavaliers passaient en haut d’une colline. Des Goddons. Calveley peut-être. Une chose était sûre : en trop petit nombre, ils refusaient le combat (478) .
– Cobarde ! hurla un Castillan tout en désignant leur conduiseur.
Oh ! Non, ces hommes n’étaient pas des couards. Ils avaient gagné toutes leurs batailles. S’ils trottaient vers Lancastre, il les fallait devancer pour les empêcher de donner l’alarme.
– Ils viennent ! cria Paindorge. Tu les as insultés ? Les voilà !
Effectivement, les Anglais descendaient la pente. Une fois dans la plaine, ils se disposèrent de front afin de barrer le passage à la chevalerie, à l’écuyerie et aux genétaires devant lesquels don Tello agitait son épée tout en contraignant son coursier à des cabrades présomptueuses.
– Une centaine, dit Tristan, hayés et rangés (479) comme il faut… Pas de Calveley, même si ces hommes ont sa bannière. Peut-être n’est-il pas loin. Il leur faut d’autant plus de courage pour nous interdire le chemin que bon nombre d’entre eux, pendant près d’une année, ont partagé notre sort… Il se peut que Jack Shirton soit parmi eux.
Et plus haut, de façon à être entendu de don Tello :
– Nous avons été compagnons d’armes. À quoi bon nous escarmoucher… Il conviendrait de paroler. Ils nous accorderaient le passage.
– Vous aberrez, messire ! hurla don Tello. Nous n’avons plus aucun ami chez eux depuis le jour où ils ont abandonné mon frère ! Ils n’ont plus à mes yeux un visage connu !
Il commandait. Ah ! Comme il se prévalait aussi de son armure certainement tolédane, neuve, resplendissante – en avait-il acquitté le prix ? Il s’enorgueillissait du cimier garni de plumes d’autruche noires – un lion d’or – qui sommait son bassinet dont la visière grande ouverte semblait avaler sa tête. Il était fier de son che val superbement fervêtu et qui disparaissait presque tout entier sous ses bardes. Sa défense de croupe formait une grande carapace protégeant l’arrière-main depuis ses reins couverts par les quartiers de la selle d’où deux fortes tiges soutenaient la palette du trousquin, jusqu’à la queue. Des flançois couvraient les flancs et se rejoignaient à la barde de poitrail, disposée en demi-cercle, talutée en avant pour ne pas gêner les tibias de l’animal et le défendre des coups de lance. L’encolure était protégée, sur le dessus, par des bardes de crinière : des lamelles taillées en chevrons, arquées et rivées sur le camail de mailles habillant le cou. Le chanfrein à menins d’oreilles semblait d’argent ; la protection des yeux y était assurée par deux demi-sphères de métal tandis que la région nasale était relevée en coquille afin de ne pas gêner la respiration. Ainsi couverte, cette bête déjà énorme avait un aspect déplaisant.
« On ne sait lequel des deux ressemble à l’autre : se dit Tristan, « mais le fait est qu’ils sont superbes. Reste à savoir ce qu’ils vaudront dans la mêlée. »
Don Tello décida qu’on avait le temps. Le temps pour lui, de passer entre les rangs de ceux qu’il nomma soudain ses amis :
– Nous allons, messires, leur fournir une leçon.
C’est vrai, nous avons été, les Goddons et nous, compagnons d’armes. Nous nous sommes portés moult fois la santé. Mais c’en est bien fini de l’amitié… Le père Béranger nous a bénis quand nous sommes partis…
« Je ne l’ai pas vu », se dit Tristan. « D’ailleurs être béni par cet homme-là peut nous porter malheur tellement il est hideux ! »
– Oui, messires, nous allons leur montrer qui nous sommes !
Don Tello se grisait de mots creux. Il était à l’apogée du délire et – qui sait ? se demanda Tristan – se voyait sans doute dans la peau d’un roi. Il voulait se différencier de son frère qui, à son goût, laissait trop la bride lâche à Guesclin. On allait voir enfin qu’il savait ostoier. On allait voir l’argile où il était empêtré par la force des choses, devenir bronze. Tous ces hommes qui l’observaient et l’écoutaient, la plupart ébahis, allaient pour un temps, – celui d’une victoire -, changer de maître. Insatiable, il lui fallait ce jour d’hui le triomphe, la renommée, le respect de ses chevaliers et de ses ennemis.
– Nous les occirons tous ! dit-il, pour conclure en regagnant sa place devant sa cavalerie.
– Oh ! Qué
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