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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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n’y eût personne entre ses pensées et cette arme, rien qu’un échange d’éclats : celui d’un regard et celui de l’acier.
    Plaçant la lame à l’horizontale, il s’y considéra comme dans un miroir. Ce qu’il découvrit ne le rassura pas : la fatigue et l’anxiété rongeaient et pâlissaient son visage. Ses yeux brillaient d’une espèce de fièvre. Sa bouche tremblait. La pitié qu’il s’inspira confina au courroux : « C’est bien moi ? Non. Ça ne peut-être moi ! » Suivit une désespérance inattendue : «  Si nous sommes vaincus et si je suis vivant… et que le prince Édouard me reconnaît… » Il craignait, lui, une victoire anglaise. Parce qu’il connaissait ces guerriers, leur enragerie, leurs astuces.
    « Ailleurs qu’où nous sommes, j’aurais fait bénir Teresa. »
    –  Holà ! Messire, s’inquiéta Paindorge. Que vous prend-il ?
    L’épée soigneusement rentra dans son fourreau.
    –  Quel cheval vous faut-il ? demanda Lemosquet.
    –  Alcazar pour aller jusqu’au champ de bataille. Malaquin ensuite. Veillez bien sur les autres et ne négligez pas Carbonelle. Je voudrais pouvoir revenir en France avec tous, mais je crains que ce vœu ne soit démesuré.
    –  Nous veillerons sur eux, n’ayez point d’inquiétude.
    Audrehem apparut, armé de toutes pièces, la barbe, hors du bassinet, givrée de froidure.
    –  Holà ! Que ne l’entrez-vous pas, messire ? Le gel va la hérissonner !
    La plaisanterie glissa sur le maréchal trop occupé à passer l’ardillon de sa ceinture de chevalier 280 dans un œillet que ses mains tremblantes lui dérobaient.
    –  Ah ! Là là, Castelreng, fit-il en toussotant. La victoire est loin d’être assurée. Guesclin a voulu retarder ce départ. L’autre et ses frères se refusent à ouïr ses admonitions… Mais vous connaissez le dicton : graissez les heuses d’un vilain, il dira qu’on les lui brûle 281  !
    Quelques crieurs passèrent. D’ordre du roi, il convenait de soigner les armes : lames, lances, frondes, arbalètes à croc et à tour. Il importait de pourvoir celles-ci de cordes neuves. Il fal lait invisquer les renges 282 dont la froidure avait pu racornir le cuir ainsi que celui des feurres 283 . On n’omettrait point de rouler soigneusement les chevestres (490) selon leur longueur et leur épaisseur. Enfin, mandement était donné que les arcs fussent en bon état et que les gerbes de viretons, dondaines et sagettes prissent place à proximité des arbalétriers et des archers.
    « Qu’on en finisse ! » songea Tristan.
    Désormais, son courage irait s’amenuisant. De la seule solidité des Espagnols dépendrait la victoire. S’ils défaillaient, la déconfiture serait inévitable. Il se sentait, indolent et docile, entraîné par un courant malencontreux. Avec une curiosité morose et comme inappuyée, il observait, autour de lui, les préparatifs bien connus. Il interrogeait les hommes du regard et ne trouvait dans leurs visages et leurs corps qu’une lassitude pernicieuse. Il s’était montré sensible, jusque-là, aux faits de la vie collective, aux usages, aux mœurs des uns et des autres, – surtout des capitaines. Il ne s’était séparé d’eux que par la pensée. Ainsi, ses aventures personnelles et, par exemple, ses amours lui avaient semblé parfois les chapitres essentiels d’une vie entièrement tournée vers la mort. Eh bien, cette mort, il allait devoir l’affronter plus encore que les Anglais. Il pénétrerait bientôt, Teresa en main, dans l’impitoyable royaume de la force, de la haine et de la cruauté.

VI
     
     
     
    L’armée abandonna les hauteurs protectrices. Morne, elle descendit lentement, comme avec peine ou regret, les pentes et les sentiers. Une multitude. Une sorte d’avalanche coulant doucement vers la plaine. Hordes, légions, compagnies devancées par les escadrons castillans accompagnés des turmes aragonaises, suivies par les genétaires de toutes les contrées d’Espagne qui croyaient dur comme fer aux mérites de l’usurpateur. Un peuple ? Nenni : un emmêlement de guerriers aux caractères difficilement conciliables dont les cris, les jurons, les invectives à l’adresse de Pèdre et du prince de Galles, qui ne pouvaient les entendre, montaient par intermittence dans un ciel qui serait bleu. Parfois, lors de silences imprévisibles et brefs, on entendait tinter les fers, les aciers et couiner les essieux des chariots d’armes,

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