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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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nourriture, habillement. Les croupes des bœufs qui les tiraient, guéries depuis quelques jours, se remettaient à saigner sous l’effet des aiguillons pourtant inutiles : on descendait, les bêtes ne fournissaient point d’effort. Mais il fallait déjà que l’on vît la couleur du sang. Les ânes, rares, et les mulets subissaient la percée des diguets 284 .
    L’ost progressait, confiant et grave, le long des ruisselets formés par la fonte des neiges et dont les bras, tels les rameaux d’un arbre, se rejoignaient parfois pour former un ruisseau plus large et plus profond qui, sans doute, se jetterait dans quelque affluent de l’Èbre, si ce n’était dans son cours même. Certains hommes chantaient. Les lieutenants s’égosillaient pour qu’on se mît en bon arroi. Aucune pensée de mort ou de danger ne semblait hanter toutes ces têtes couvertes de fer ou d’aumusses de cuir. De temps en temps montait une huée : elle était suscitée par un cheval ramingue, un piéton qui tout à coup s’embourbait, immobilisant ses compères, une arme qui venait de choir dans l’herbe ou dans la boue et qu’il fallait ramasser.
    Parfois, Dénia, Tello et Sanche remontaient la pente afin d’encourager les genétaires, les ballesteros encastillés sous leur pavois et les meneurs de chariots, la gaule tendue ou posée sur le joug. Bien qu’ils voulussent fournir à l’entour une image d’eux rassurante, ces trois goguelus semblaient à bout de nerfs. Tous barbus et emmoustachés comme leur idole, la bouche gonflée de cris et d’arrogance, le regard conquérant sous des paupières fripées lors de sommeils difficiles, le nez rougi tant au froid de l’aube qu’au vin, ils savaient qu’ils allaient non seulement jouer leur vie mais aussi leur réputation dans un affrontement dont l’issue se présentait comme incertaine à Guesclin, ce qui leur paraissait un comble. Songeaient-ils de temps en temps qu’ils avaient naguère baisé la main et le pied de Pèdre en signe d’allégeance et que s’il les prenait, ils échoueraient dans une chaudière ou – autre solas royal -seraient livrés aux taureaux dans l’arène la plus proche du lieu de leur capture ?
    Les Bretons avançaient emmassés à l’arrière. Ils chantaient on ne savait quoi. Aucune autre compagnie ne les côtoyait tant leur réputation était abominable 285 . Guesclin trottait devant, Couzic à son côté. Ils ne se retournaient jamais et devisaient comme deux seigneurs en goguette.
    –  À voir combien nous sommes, messire, nous ne pouvons être vaincus.
    Tristan sourit dans l’orbe de son bassinet dont, avant d’enfourcher Malaquin, il avait vérifié les vervelles 286 .
    –  À Crécy, l’ost de France était triplement supérieur en nombre et chevalerie. À Poitiers plus encore et Édouard le Jeune se trouvait aux abois. Ce jourd’hui, les Goddons et les hommes de Pèdre sont quarante mille – à ce qu’on dit – et nous sommes quatre-vingt-dix mille. Je partage l’opinion de Guesclin : les Espagnols sont bons à combattre des bêtes cornues à vingt contre une – si ce n’est davantage – après les avoir copieusement navrées avant que de les affronter. C’est tout. Ils verront bientôt que les pointes des sagettes galloises sont plus redou tables que des cornes, plus meurtrières que les cure-dents d’acier de leurs bouchers !
    L’armée avançait toujours. Quelques chants montèrent dont on entendait des bribes : «  Dios.. Camino de la Cruz… Ay, las cal les de Toledo… Este amor, esta devocion. » Dieu, amour et les rues de Tolède. Le soleil montait, rutilant et large comme une roue de chariot. Tout le pays, montagnes et plaines, s’incendiait à son brasier ; les hommes à son feu sentaient leur ardeur s’affermir. Parfois, long et frémissant, un cor meuglait ; une trompette jetait un cri sec et pointu. Il semblait que ces milliers de guerriers n’avaient qu’un seul désir : combattre. Une passion : combattre. Un idéal : combattre. Aucun homme ne semblait avoir pensé qu’il eût fallu attendre les Goddons derrière la Najerilla, voire à Zaldiarân. Henri voulait mener son armée dans la plaine. Inonder celle-ci de chair et de fer de Nâjera à Navarrete. On disait que quelques capitaines castillans, après Guesclin et les prud’hommes français, avaient essayé de dissuader l’usurpateur d’entreprendre une attaque qu’il voulait grandissime, et qu’il les avait rabroués. Il avait

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