Les fils de Bélial
lui permettait son armure.
– Ami, dit le Breton, ne me le cachez pas : que vaudrait bien ce vin en votre camp par-delà ?
– Sire, dit le héraut, par Dieu qui créa tout ! À cause du saint jour de Pâques fleuries qui sera demain quand il fera jour, on ne boit pas de vin dans notre camp. D’ici à demain nous n’en boirons point.
– Par ma foi, dit Bertrand, on a dit dès longtemps : beaucoup épargne de bien, celui qui n’en a pas.
– C’est vrai, acquiesça le héraut, mais demain en boira qui pourra en avoir et qui n’en aura pas s’en privera. Car chacun n’aura pas ce qu’il a désiré. Vous n’avez point eu, en un temps qui est passé, tout à votre désir. À Cocherel où fut la bataille, une grande faim vous pressa. Différez donc de vous moquer de nous.
– Hé Dieu ! fit Bertrand, hilare, on m’a bien payé cela.
– Sire, reprit le héraut dont la face rosissait sous l’effet du vin, oyez ce qu’on vous dira… Or, apprêtez-vous : il en est temps. Chandos, qui m’envoie devers vous, vous le mande.
Le Breton cessa ses rires. Il eut vraiment, soudain, une tête de gouliafre 289 sous ses cheveux drus et courts. Ses chairs s’étaient figées, blêmies. Son souffle s’était accru. Ses yeux bridés par la colère brillaient avec la force des joyaux de clinquant et ses lèvres molles, entre-closes, laissaient paraître une denture aux canines aussi aiguisées que celles des veautres. Ses épaules dont l’armure accroissait la largeur et d’où sortait un cou puissant cerclé de fer, son torse énorme, ses jambières immenses et jusqu’à ses éperons, les plus gros qu’on pût voir, sans doute, dans l’armée de Castille, n’eurent aucune influence sur la sérénité du truchement de messire Chandos.
– Va, dit-il à l’Anglais. Vous aurez la bataille.
– Or, tôt, dit le héraut, ou nos gens viendront ici.
L’Anglais tourna bride et partit lentement.
– L’outrageux ! dit Henri. Je lui ferai payer son outrecuidance lorsqu’il sera prisonnier.
« Mais le sera-t-il ? » se demanda Tristan.
Le jour hésitait à paraître. Il fut cependant décidé d’avancer. L’ordre de combat serait celui que l’on avait arrêté à Zaldiarân. L’avant-garde serait composée des routiers français, des Bretons et de l’élite des hommes d’armes castillans, sous le commandement de Guesclin, assisté d’Arnoul d’Audrehem et des autres chevaliers aux lis, parmi lesquels Tristan et Paindorge, soit environ six mille hommes d’armes et leurs chevaux 290 . Don Sanche et les chevaliers de l’Écharpe ainsi qu’un jeune tabellion, Ayala, renforceraient cette bataille derrière laquelle s’avanceraient deux grands corps de cavalerie, chevaux lourds et genets mêlés, destinés à flanquer l’avant-garde dès l’engagement du combat. Il y avait là vingt-cinq mille hommes tant cavaliers que piétons. Le corps de cavalerie de gauche qui progresserait le long du ruisseau serait sous le commandement de don Tello ; celui de droite aurait pour chef le comte de Dénia, marquis de Villena. Il se composait d’auxiliaires aragonais et de chevaliers tous Ordres confondus. Entre ces deux ailes de guerriers et en seconde ligne, on fit ranger la quatrième bataille, constituée de piétaille et de cavalerie dont Henri se réserva le commandement. Il y avait là sept mille hommes à cheval et trente mille piétons ainsi que tous les seigneurs des royaumes de Castille, Leôn et Portugal. Ce corps de bataille disposait d’une réserve composée du comte d’Aiguë et du vicomte de Roquebertin avec leurs Aragonais, tous bien armés et montés. Leur mission consisterait à boucher les brèches. Considérant cette tâche comme peu glorieuse, messire de Roquebertin, d’un galop, s’intégra dans l’avant-garde.
Tristan songea que la disposition de l’ost anglais serait certainement la même avec une différence essentielle : la plupart des hommes combattraient comme ils en avaient coutume : à pied.
– Messire, je les flaire, dit tout à coup Paindorge. Ils sont en bon conroi 291 !
Sa voix vibrait, presque indistincte, et quelque chose s’était éteint dans son visage cerclé de fer, sous une visière haut levée.
« La mort ! » Maintenant, et pour tous, l’attente serait emplie d’une seule pensée : « La mort ! » Il allait falloir s’y consacrer, s’enfermer dans le seul désir d’occire. Se décharger des fardeaux de bonté, de
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