Les fils de Bélial
moment où il oublierait cette écorce de fer contraignante. Autour de lui, le souffle impétueux de la proche bataille courbait les hommes sur leurs vêtements de fer et de mailles. Ils riaient. On allait voir bientôt quel était leur courage !
Les suivant du regard, Tristan toucha ses plates. Oui, sa pansière était au bon endroit. Sa baconnière aussi, et ses tassettes entre lesquelles flottait son jupon d’anneaux fins et solides. Ses genouillères à grands oreillons se joignaient parfaitement à ses cuissots et ses jambes s’articulaient sans difficulté.
– Je vous passe vos éperons ? demanda Paindorge, une fois ceinte l’écharpe vermeille.
– Non, Robert. Rien n’est pire, dans les mêlées, que ces nobles appendices. Mais qu’ils soient d’or, d’argent, de bronze ou de fer, les Goddons n’en auront respect (489) … N’oublie pas mon écu : le combat sera âpre !
Un cheval échappé des mains d’un goujat s’en alla galoper vers les logis du roi et de ses hommes liges. Il en fut chassé à coups de plat d’épée avant peut-être, d’en connaître bientôt le tranchant. Des gonfanons furent déployés, tous espagnols : ces pendons y caideras portaient brodés sur leur soie ou leur mollequin la chaudière signifiant que les chevaliers étaient à la solde et qu’ils nourrissaient leurs hommes. Et tandis que les banderas de Castille et de Leôn s’élevaient aussi, Tristan commanda à Paindorge d’apprêter la sienne.
– Elle n’a plus vu le jour depuis la montre d’El Encinar de Banares.
– De gueules à deux tours d’argent , messire. Et des tours qui ressemblent à celles de la Castille.
– Certes… Sors la bannière de mon beau-père. Elle mérite d’être à l’honneur. Il me manque… Qu’aurait-il dit, pensé, s’il était parmi nous ?
– Comme vous…
– Yvain portera ma bannière, Girard celle d’Ogier d’Argouges, car toi, Robert, tu te battras à mes côtés. Il serait absurde que tu restes en arrière comme l’usage l’exige. En cette occurrence, je ne cherche pas à t’exposer, mais à donner libre cours à tes mérites.
– Soit, messire. Je ne me résigne pas. J’apprécie, au contraire, la grâce que vous me faites.
Ils haletaient un peu. L’émoi toujours ? L’angoisse ? Mais l’angoisse n’était-elle pas une forme exaspérée de l’émoi ?
Tristan se mit en rage. Voilà où il en était ! Son armure, soudain, l’étouffait. Les épaulières contraignaient tout le haut de sa personne. Il simula, des deux mains, une attaque à la tête. L’espèce de paralysie qui l’avait saisi fut immédiatement dissoute ; cependant, un continuel frémissement agitait ses muscles du cou, ses coudes, ses genoux. Ses paupières elles-mêmes semblaient atteintes. Ses mains au chaud maintenant dans les gantelets – fer dessus, cuir dessous – éprouvaient des fourmillements, et ces agaçins l’irritaient bien qu’il les eût déjà éprouvés à Poitiers et Brignais, là où la mort semblait avoir espéré le surprendre et prendre. Il suait à peine et s’en félicita : sa peau ne serait pas irritée par une chemise trempée ainsi que son capiton de bourras.
Il ceignit lui-même sa ceinture d’armes à laquelle Teresa pendait, fermement assujettie par la bélière. Il caressa le pommeau de l’épée tolédane, puis ses quillons. Que devenaient les del Valle ? La belle Cristina les avait-elle quittés pour quelque sombre et frais couvent ? Avaient-ils maintenant oublié son passage ?
Il tira lentement la lame du fourreau. Belle, tranchante, puissante bien que légère. Soumise, évidemment, et peut-être héroïque. Elle n’était fille d’aucune divinité comme Excalibur : elle était divinité. Un acier apparemment neutre et qui, dans sa main ses mains sans doute – deviendrait force, courage, esprit. Il savait combien, lourdement vêtu de fer, serait restreinte la gamme des mouvements qu’il pourrait fournir mais il ne doutait pas que Teresa lui en imposerait d’autres, inattendus, efficaces et certainement mortels. La contemplation de cette arme lui interdisait de douter de sa vaillance et de désespérer de ses capacités à contenir n’importe quel assaut. L’eût-il tant chérie s’il n’avait songé presque simultanément à Cristina et à Teresa, toutes deux sorties différemment de sa vie à l’apogée de leur beauté ?
Il refusa de laisser courir son imagination et ses souvenirs. Qu’il
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