Les fils de Bélial
Résister ? Non mieux valait sous la contrainte adopter la reculade et offrir, ce faisant, de l’aisance à Teresa. Pour le moment, il était vivant ! Il donnait même un coup sur le bassinet de l’autre. « Va te le rafïuster 315 , coquin ! » Si seulement les cavaliers de Tello étaient revenus ! C’était maintenant qu’ils étaient utiles. Et même indispensables ! Si seulement cette fuite écœurante n’avait été qu’une feinte ! « Dieu les juge et condamne. » Peut-être Édouard craignait-il ce retour. Il semblait qu’il n’y avait plus que deux corps d’armée à l’assaut du grand ost du roi Henri aux prises avec les bataillons du roi de Majorque. On entendait parfois, crevant le hourvari des armes et des voix, Pèdre hurlant à pleine gorge :
– Montre-toi ! Montre-toi, fils de pute !
La bataille de l’usurpateur qui avait fermement combattu jusque-là se vit tout à coup assaillie par des troupes fraîches et s’éparpilla quelque peu. Animé d’une fureur mortelle, Pèdre ne cessait d’encourager ses hommes à la tuerie. Pas de pitié. Il fallait qu’il se rassasiât de sang. Déjà l’on entendait au-dessus des hurlements et des gémissements de douleur, des cris de protestation : « Assez ! Assez !… Rendage ! » Mais nul ne se rendait. Des admonestations destinées à revigorer les couards couvraient parfois ces plaintes lasses. Or, la boucherie continuait. Il semblait que les Aragonais eussent été défaits. Le corps commandé par Guesclin, « le corps où je suis, moi », se battait encore tout en sentant sur ses flancs les contractions de l’ennemi.
« Toute l’armée nous assaillira bientôt ! »
Des chevaux… Une escadre… Mille peut-être. Et si c’était Tello ? Non… Ils s’engageaient dans la presse. Henri sur sa mule avec des genétaires ! Combien ? Ils chargeaient les Goddons à la lance et l’épée. Une fois ! Deux fois. Sans la voir, on pouvait deviner cette appertise (507) . Mais des hommes devaient tomber. Des chevaux. Rien à faire pour ébranler la muraille de fer anglaise hérissée de lames et d’épieux. Henri, maintenant, devait renoncer…
« Je ne renonce pas à occire cet homme !… Les deux mains réunies sur la prise… Au-delà du gantelet, le bras dextre. La lame… Les quillons. »
C’était la voie qui conduisait au cœur. Feindre une estocade et…
Han !
Le colletin avait cédé sur ce taillant irrésistible.
L’Anglais tomba, trépassé par ce coup de tranchoir. De gros coquelicots fleurirent sur les gerbes.
Tristan entendit le hurlement de Henri à ceux qui résistaient encore :
– Vous allez voir, mes généreux amis, que je n’étais pas indigne de la couronne que j’ai coiffée grâce à vous !
– Partez ! tonna Guesclin. Au nom de Dieu, partez ! Vous vous revancherez ! Je ne vois plus la bannière de l’Écharpe !
« Ils vont nous écharpiller ! »
Guesclin n’avait point ajouté que sa bataille était outrée, proche de la déconfiture. Un flux et un reflux incessants l’accablaient. Henri obtempéra. Quatre hommes, apparemment, le suivaient. Pourraient-ils franchir les rangs ennemis ? Sans doute par l’arrière.
– Oh ! Merde, gémit Tristan.
Un homme devant lui. Trapu, habile et furibond. Des sagettes tombaient à verse. Des lances, guisarmes, archegaies perçaient toujours des écorces de fer. Il y avait encore, devant, des centaines de genétaires qui tenaient leurs batailles en ligne, et bouchaient d’un élan les brèches des piétons anglais.
« Cet homme, devant… »
Plof ! Un coup furibond à démolir un bassinet. « Il a tenu bon mais… » À force de branler sur ses vervelles, la ventaille venait de se clore, – conséquence de cet horion d’Angleterre ! Noir, sueur sur les parois et la cale et les anneaux du camail. Après tout, c’était mieux ainsi car le Goddon s’obstinait à frapper à la tète. Partout, maintenant, on se battait d’homme à homme, à la désespérade. « Et moi, Castelreng, tané (508) ! » Sur un autre horion destiné au timbre de sa coiffe, l’épée glissa et heurta la paupière de fer senestre. Une sorte de chalaze y apparut qui ne restreignait pas la vue. « C’est un caillot de sang prélevé sur un autre !… Ah ! Non, qu’il reste au-dehors ! » Il eut peur : « Sainte Vierge !… Et vous, messire saint Michel que saint Georges humilie ce jour d’hui… Veillez sur moi ! » Il
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