Les fils de Bélial
l’aide.
« Quand cela va-t-il finir ? »
Des agitations d’hommes, des ruades et des soubresauts d’animaux qui se serraient trop près. Sur le champ immense de Nâjera, la mort soufflait son haleine fétide à pleine gorge. Que faire ? Guesclin, pour le moment, ne décidait de rien. Où était-il ? Alors qu’il se préparait à pousser un cheval, Tristan sentit un sifflement. Des fragments de terre et de cailloux jaillirent. L’un d’eux heurta son épaulière cependant qu’un fragment de sagette frôlait l’encolure du cheval qui fit un bond. Il hennit. D’autres aussi, orphelins de leur chevalier mort sans doute. Les traits tombaient toujours en averses épaisses, percutant les hommes, perçant les bêtes qui se cabraient, certaines pour la dernière fois. Et les Anglais surgissaient. « Ils vont m’occire ! » Dans cette succession mouvementée d’images, de cris, de macules cramoisies cruellement forcenées, Tristan férissait ses assaillants, les nerfs crispés, le souffle vif ou suspendu. Les Anglais et leurs alliés hurlaient leur enseigne tandis que son imagination inquiète le montrait ardent et vulnérable, confiant ou désespéré. Il vivait sa mort probable avec une intensité terrifiante. Elle était incorporée à sa substance. Tout se liait, s’effaçait, se confondait, et chacun de ses mouvements contre les aciers tranchants ou pointus était une résurrection de sa vie, une résurrection de son âme. Le relief tragique de sa personne engloutie dans la végétation mortelle des gestes s’amenuisait de mouvement en mouvement. Il était à la fois lui-même, mais il était aussi tous les soubresauts, toutes les exaltations, toutes les défaillances.
Des hommes tombaient quelquefois enlacés. Tristan se trouvait absurdement faible. Il ne se ressemblait pas. À moins que l’autre fût une sorte de preux. Il s’obstinait à chercher quand même une faille dans sa défense et pressentait, malgré lui, qu’il avait déjà vu cet homme ou qu’il l’avait affronté. Il était trahi par sa mémoire et en éprouvait du dépit. Leurs gestes s’ensuivaient, terribles mais vains. Non ! Non ! Il venait de toucher l’ennemi au poignet. La dextre. Le vin de mort coulait, poissant les mailles.
– Cette fois, Sang-Bouillant, tu me paieras ta dette !
Bagerant ! C’était Bagerant !… Encore et toujours ! Ce grand coquin l’avait retrouvé dans la presse ! Sa volonté ? La providence ? Bagerant ! Chevalier ? Non : démon !
Tristan décida de ne plus reculer. De ne pas céder un pouce de terrain à cet ignoble et de ne point mourir de sa main !
Il devinait son rire permanent. Un rire qui, bien qu’invisible, lui mettait les nerfs à vif. « Fredain (509) , ta présence auprès d’eux ne me surprend guère. L’or et l’argent et sans doute les femmes de Bordeaux… Qu’as-tu fait des tiennes ? Les as-tu occises afin d’en prendre d’autres ? » Tout était simple : comme tant d’anciens routiers engagés par Guesclin, Bagerant, las du Breton, avait suivi Calveley. Or, le grand Hugues avait fait aveu à son prince. Cédant sans trop barguigner aux instances de celui-ci, il avait regagné de grand cœur l’Aquitaine. Mais Bagerant ?… Il n’avait accordé son hommage qu’au diable !
Tristan trébucha sur un corps et faillit tomber. L’herbe et la terre devenaient molles. Était-il près de la rivière ? Était-ce la rumeur ou la Najerilla ? C’était la rivière. Son cours torrentueux… Quoi ? Où en était-on ? La rivière 321 … Était-ce à cause de la visière close ? Il semblait que le jour fut près de son déclin… Naudon !… Il y avait de quoi étouffer de fureur. Deux fois l’épée félonne s’abattit. Sur l’épaule pourtant vivement effacée. Sur la cubitière senestre qui reçut le taillant.
Tristan répliqua par un furieux coup de banderole. La spallière 322 senestre de Bagerant tint bon mais sa tassette dextre pen douilla, une de ses attaches de cuir rompue. La fureur du routier s’immensifia.
– Je ne t’ai pas cherché mais je t’ai reconnu !
Ils prirent du champ autant que la mêlée le leur permettait. Ils se fournirent de grands coups inutiles et fatigants. Leurs lames tintaient avec des vibrations stridentes, et ce fut alors que Tristan fut épouvanté : les quillons de Teresa n’étaient plus dans l’axe de la lame. Il eût fallu… Mais qu’importait ce qu’il eût fallu faire !
« Par le sang
Weitere Kostenlose Bücher