Les fils de Bélial
affronter le Revenant ; maintenant, il avait affaire à un prince dont la réputation de cruauté, sans égaler celle de Pèdre, datait de bien avant Nâjera.
– Or, ne me celez rien, dit Édouard, affable. Dites ce que fera cette cité de Burgos à mon intention.
L’évêque s’appuya sur sa crosse comme un homme qui, soudain, eût senti les atteintes d’un mal sans pitié :
– Sire, Burgos s’accordera à votre volonté ainsi qu’il vous plaira… Mais voici le roi Pedro qui tire çà et là une vengeance des bourgeois en faisant décoller l’un et pendre l’autre. Nous vous prions, pour Dieu qui créa le monde, que vous nous veuillez protéger ou trop grand mal nous viendra. Chacun à votre gré obéira en tout. La cité est à vous et tout ce qu’il y a : bourgeois, bourgeoises, chacun vous servira. Chacun vous fera part de son trésor. Mais soyez-nous garant et l’on vous aimera.
Pèdre était loin encore. Édouard se fit paterne : – Par ma foi, évêque, puisque vous me dites qu’il ne va ainsi, jamais Burgos n’aura de mal, jamais le roi l’Espagne n’osera commettre ce que vous redoutez !… te le jure devant Dieu !
– Le roi Pèdre, dit le prélat d’une voix basse au début, aigre à la fin, le roi Pèdre, sire, jure par Mahomet. Nous vous requérons humblement que vous nous vouliez maintenir en sûreté.
L’évêque salua bien bas, puis s’éloigna. Le prince de Galles se tourna vers ses hommes liges parmi lesquels s’étaient insinués quelques prisonniers :
– Le diable, dit-il, m’a fait mêler aux affaires de Pèdre. Jamais bien, je crois, n’en viendra !
Il salua l’apparition du tyran ressuscité, entouré l’une dizaine d’hommes vêtus, comme lui, de fer et de mailles.
– Roi d’Espagne, dit-il non sans quelque insolence, je veux vous parler. Par ma foi, en deux jours, j’ai ouï l’Espagne se louer peu de vous. Je suis venu plus tôt que prévu pour vous réconforter et vous devez amender ce fait-ci pour moi. Vous devez payer mes gens, leur délivrer leur solde et leur donner de bons présents. Je dois, après votre mort, posséder l’Espagne ainsi que mes hoirs 356 qui viendront et vous me l’avez voulu promettre de votre foi et sceller de votre sceau, j’ai aventuré mes gens pour votre honneur. J’ai vaincu et dispersé l’armée ennemie. J’ai fait prisonniers Bertrand Guesclin et le bon maréchal de France et les meilleurs chevaliers qui soient jusqu’à la mer. Pour vous, il m’a fallu me travailler et me lasser, mettre mes gens en détresse et les affamer laidement. Il est en ma missance de vous tout ôter, dès que vous voudriez parjurer votre foi, ou de tenir la convention sans plus de délai et de faire raccorder vos gens avec vous, en telle manière que je voudrai décider. Je vous jure Dieu que si j’apprends que vous voulez mal faire, fussé-je à Bordeaux que j’ai à gouverner, je reviendrai ici quoi qu’il me doive coûter. Je ferai amener avec moi des vitailles pour vivre largement et longuement sans rien acheter, et je vous suivrai ainsi outre la mer, jusqu’à ce que je vous fasse périr de male mort !
Pèdre n’avait cessé de trembler de rage. Qu’il fût humilié ainsi devant ses hommes était inacceptable, mais il ne se sentait point en état de supériorité, ni même d’égalité. Édouard, lui, se savait en force, bien que sa position semblât assez difficile pour qu’il ne la compliquât pas en envenimant ses menaces. Tristan, de loin, observait les deux hommes. Pèdre était en bonne santé ; le prince de Galles s’en donnait énergiquement l’apparence. Et ce fut Pèdre qui plia par nécessité plus que par crainte.
– Sire, dit-il, ne doutez pas que je ne fasse encore plus, si vous voulez commander.
– Je veux, mon cousin, entrer dans Burgos et y donner à dîner à tous les bourgeois et bourgeoises qui sont fort à louer, et pour les accorder avec vous et en manière de paix et à ma volonté. Vous en voudrez jurer.
– Je ne pense pas autrement.
C’était une acceptation hypocrite. Édouard ne se méprit point. Il exigea de traverser la ville et loin dans son sillage, Tristan put voir agenouillés sur la chaussée des hommes et des femmes mains jointes, le visage livide et les joues embuées de larmes. Le cortège s’arrêta devant la cathédrale. Les prisonniers ne furent pas admis à y pénétrer. Quand Pèdre et Édouard sortirent, on apprit que le roi d’Espagne
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