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Les fils de Bélial

Les fils de Bélial

Titel: Les fils de Bélial Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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nez… Il ne savait s’il fermerait les paupières ou s’il prendrait ses yeux pour un miroir de bonheur. Mais peut-être ne serait-ce point le baiser qu’il imaginait. Après de si longs jours de séparation, il se pouvait qu’ils dussent réapprendre à s’aimer. À s’embrasser. Et le reste…
    Il aurait tout perdu dans cette sanglante mésaventure de Nâjera. Si, avant la bataille et à son insu, il possédait encore dans sa tête et dans ses membres un soupçon de juvénilité, il n’en subsistait rien.
    Il se sentit gagné par un méchant sentiment d’humeur dont son visage dut refléter l’importance.
    –  Messire, dit Paindorge, il ne sert à rien de vous doulouser 361 . Bien que nous n’ayons pas mérité notre sort, nous nous devons de le supporter… Il faut nous accrocher à de belles et bonnes choses… Oh ! Je sais : tout ça, c’est des mots. Je n’y parviens pas… J’ai sur mon cou, en sus du joug anglais, celui de remembrances qui n’ont rien pour m’égayer… Vous pouvez songer à votre épouse. Pas moi… Il fut un temps ou vous n’y pensiez point…
    Tristan considéra son écuyer à la dérobée. Jamais il ne lui avait paru autant réprouver sa conduite sévillane.
    –  Moi, je pensais à elle… pour deux… En tout bien tout honneur.
    Poursuivant son plaidoyer par un « Ah ! Là là » plein de reproches informulés, Paindorge ramassa ses conclusions :
    –  L’amour, c’est tout… quand ce n’est pas grand-chose.
    Et d’ajouter :
    –  Vous recommencez à penser tendrement à votre dame.
    –  Tais-toi ! Je sais de quels reproches tu pourrais m’abreuver !
    Confus du ton sévère qu’il venait d’employer, Tristan s’immobilisa et passa une main humide de sueur sur son front, ses paupières. Son silence et l’expression de sa physionomie étaient tels que Paindorge se méprit :
    –  Ne retombez point dans la mélancolie… à moins que ce ne soit le remords !
    C’était presque une injonction.
    –  Ne me parle pas ainsi… Tu ne peux pas savoir.
    Ce fut au tour de l’écuyer de protester ;
    –  Pas savoir ! Pas savoir !… Pensez-vous qu’un homme de ma condition soit incapable d’éprouver du sentiment ?… Pensez-vous que j’aie été, jusqu’à maintenant, incapable d’aimer ?
    Le ton vif et moqueur de ces questions décontenança Tristan. Toutes les idées qu’il avait laissé fermenter dans sa tête se fi gèrent. Les frémissements qui l’agitaient parfois depuis le début de sa captivité et qui peut-être avaient suscité son soudain accès de rigueur prirent brusquement fin. Jamais il n’avait vu un tel visage à Paindorge.
    –  J’ai aimé, messire. Peut-être plus fort que vous, bien qu’il n’existe aucune balance pour peser le contenu des cœurs.
    L’écuyer respira un grand coup tel un prisonnier au sortir d’une geôle. La sienne était la pire d’entre toutes : celle des souvenirs.
    –  Elle s’appelait Edmonde, messire. Elle avait seize ans et j’en avais dix-sept. Elle était fille de drapiers, mais point Juive, comme notre malheureuse Teresa. Je n’étais que fournier 362 . Mon patron tenait boutique à Charenton. Elle était blonde… Un visage d’ange… Oui, ça existe !
    –  Je ne te contredirai point, protesta Tristan ému par une passion qui se révélait extraordinaire avant qu’il en connût le développement et l’issue. Une issue qu’il pressentait malheureuse.
    –  Pour l’approcher, je m’accointai sans mal avec ses frères : Michel et Jean. L’amitié nous unit, mais elle, Edmonde, resta distante et même méprisante à mon égard… Avait-elle senti que je l’amourais ?… Je le crois.
    –  Les jouvencelles sentent ces choses plus encore que les femmes.
    C’était, pour Paindorge, un encouragement à poursuivre.
    –  Une fois, dans une carole sur le parvis de l’église, je l’ai tenue par la main… Mon amour d’elle devint une vénération. Elle fut encore plus distante.
    Vous pensez : un manant !… Mésalliance, même si je lui avais plu.
    –  Je te comprends : tu souhaitais un miracle ; il ne vint pas.
    –  Je souffrais de l’aimer.
    –  N’en montre point vergogne. Aimer, c’est souffrir.
    Il savait, lui, Tristan, ce qu’était le mal d’aimer. Aussi comprenait-il mieux Paindorge. Si ses amours avaient été en quelque sorte exaucées, celles de son écuyer s’étaient trouvées anéanties avant même que d’avoir commencé.
    – 

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