Les fils de Bélial
de Guadamur, Tristan défiait ces malandrins auxquels le courage manquait.
– Et si on a fait ce que tu nous reproches, quelles preuves en as-tu ?
Orriz, imprudemment, révélait aux curieux qu’un rapt doublé d’un crime avait été commis. Le male-bouche ne se souciait plus du regard désapprobateur de Couzic. Cependant il parut atermoyer pour prendre son élan.
– Apporte-nous des preuves ! Et puis quoi ? Ce n’étaient que des Juifs !
Du coin de l’œil, Tristan surveillait Le Karfec dont la dextre empoignait la prise d’une épée trop longue pour lui, donc d’un maniement difficile.
– Il n’y a pas pire homme au monde qu’un Breton. -Et quand il sert Guesclin, peut-on dire qu’il est un homme ? Non. C’est quelque chose d’autre : un composé de vipère et de merde.
Il sentit que l’incendie qui couvait allait se déployer parce qu’un souffle de mort passait, généré par le soudain silence et un nouveau recul de l’assistance. Chez les trois routiers, les humeurs, les aigreurs et l’outrecuidance s’assemblaient pour composer cette haine définitive envers celui qui les aiguillonnait depuis trop longtemps.
– Toi, tu cherches la mort, dit Couzic en offrant la bannière à l’aigle à José.
– Tu dis vrai, fit Orriz en tirant son épée.
– En vérité, dit Le Karfec… Eh bien, oui, c’est nous. On les a…
– .. : violés, acheva Orriz.
– Et on n’était pas seuls ! triompha Le Karfec.
Il y eut quelques murmures d’indignation à l’entour. Tristan eût juré que les prud’hommes ne s’y étaient point associés. La haine des Juifs les possédait aussi, surtout le comte de la Marche persuadé dur comme fer qu’ils avaient incité le roi Pèdre à occire sa jeune épouse française. Tristan n’en fut point courroucé. Trois, se dit-il, c’était beaucoup. Il ignorait tout de la force et de l’habileté de ces damnés, mais savait qu’aucun d’eux ne pourrait ni l’estoquer ni le tailler parce qu’il détenait le pouvoir absolu d’être un justicier, et que sa cause était parfaite.
Le Karfec se porta en avant le premier.
– Laissez-le-moi ! enjoignit-il à ses compères.
Tristan avait tiré Teresa du fourreau.
Aux premières passes, il évalua l’énergie de son adversaire et vit que sa vivacité n’était guère à la hauteur de sa jactance.
« Il agit bredi-breda Croit-il qu’ainsi je vais m’empeurer ? »
À la fréquence des coups, Tristan opposa une rectitude efficace, déjoua quelques ruses grossières, brisa une attaque à la pointe et vit Orriz sortir sa lame et s’approcher. Deux, c’était suffisant, d’autant plus que Le Karfec semblait possédé d’une ardeur dangereuse.
– Tu l’as cherché ! Prends ça !
En un violent coup de banderole, Tristan ébranla l’audacieux, coupant à demi son épaule senestre. Par deux taillants successifs, il ouvrit la poitrine et le flanc du Breton dont il vit palpiter et couler les viscères 55 .
– J’ai revanché la donzelle, cria-t-il à l’intention de Couzic et d’Orriz. Reste son frère. Approchez, vous deux !… Eh bien quoi, Orriz ?… Est-ce vrai : tu recules ? Et toi, Couzic ? Qu’as-tu fait de ta vaillance ? L’aurais-tu perdue, hombre bueno, dans les flammes de Guadamur ?
Il entrevit Shirton occupé à tirer Le Karfec par les pieds. Il entendit des murmures. Il ne voyait rien d’autre que les deux Bretons.
– Battez-vous !… Affrontez-moi, violeurs d’enfants !… Montrez à ceux qui nous regardent votre courage, votre audace… Non ? Craindriez-vous ma bachelerie 56 . Vous vous en êtes ri, cependant, il y a peu !
Couzic recula. Il partit en courant après un demi-tour.
– Ce couard va chercher son maître. Allons, Orriz approche !
Un soupçon harcelait Tristan. Pour qu’il fut un des chiens de garde de Guesclin, cet homme devait manier l’épée comme un champion du champ clos. Il n’avait pu évaluer son habileté et sa puissance lors de l’escarmouche de Guadamur. Cependant il fallait l’effacer des vivants.
Grand, sinueux, Orriz attaqua prudemment. Estoc et taillant. Estoc et taillant encore dont le vent sépara Tristan de son chaperon. Trois fois, il dut à des sauts de côté et à des retraites promptes d’échapper à la lame adverse. Elle était puissante, cette lame, éblouissante, mais il demeurait ébloui, lui, par le tranchant et la dureté de la sienne.
– Je vais venger Simon.
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