Les fils de Bélial
hommes… Auparavant, vous avez exilé tout un village… après avoir violé et occis toutes les femmes !
Il sentit que des gens alentissaient leurs pas. Que d’autres s’arrêtaient, pressentant une échauffourée. « Trois ». se dit-il, « c’est trop, car Couzic va s’y mettre. » Mais ayant commencé, il se devait de finir. Au diable ses blessures !
– On n’a pas à te répondre, dit Orriz. Va voir un astronomien : il t’apprendra la vérité si cette nuit y’a des étoiles.
– Holà ! messire, cria Paindorge, tout proche. Faut-il que je vienne ?
La diversion fit son effet auprès de quelques capitaines de passage et des prud’hommes parmi lesquels Tristan reconnut le Bègue de Villaines, Audrehem, Budes, Antoine de Beaujeu, très petit auprès de Calveley, rieur et attentif. Il y avait même un des meneurs de Briviesca : frère Béranger dans sa soutane verdâtre sans doute maculée de sang si on la voyait de près. Ils s’étaient arrêtés, excités tout à coup à l’idée de voir couler quelques pintes de sève humaine. Ils n’étaient point et ne seraient jamais rassasiés de ces intempérances homicides, et ceux qui y succombaient, plutôt que de susciter leur pitié, ne provoquaient chez eux qu’une sorte de curiosité légère lestée d’un pesant mépris. Le comte de la Marche, soudain présent, n’avait de cœur que pour sa cousine Blanche. Il eût dû s’exclamer : « Castelreng, que faites-vous là ? » Or, il ne disait mot, attendant, espérant sans doute que l’algarade prît un tour plus violent.
– Répondez-moi enfin, malandrins que vous êtes ! Où sont ces deux enfants que l’on m’a confiés ?
– Quels enfants ? dit Couzic. De quoi veux-tu parler ?
Tristan se sentit pâlir. La sueur lui perla aux tempes. Il fallait qu’il décidât ces monstres à cracher la vérité puis à tirer leur lame. Il choisit le parti de titiller Couzic, le plus chatouilleux des trois :
– Cela te va bien à toi de prendre cet air innocent !… T’ai-je adressé la parole ? Va torcher ton maître ou cours faire soigner ton furoncle. Il fait de ton nez une si belle lanterne que tu peux chevaucher par quelques nuits sans lune sans crainte de t’égarer !
Le Karfec secourut aussitôt son compère.
– Un mot de plus, le Preux, et on te justicie !
Il montait sur ses ergots, fort, croyait-il, de l’assentiment des curieux alors que ceux-ci, prévoyant une aggravation de la querelle, attendaient qu’elle s’envenimât et s’assortît des premiers frappements d’épées lors desquels ils choisiraient leur homme.
– Alors, morpoil, veux-tu que je t’aide à partir ?
Décidément, ce petit goguelu de Le Karfec cherchait le coup de lame. Il avait une face ronde, comme son seigneur et maître, des yeux vifs, très noirs – le reflet de son âme -, des lèvres minces au-dessus d’une barbe en biseau et qui semblait s’être roussie, flétrie, à proximité des brasiers dont, comme ses complices, il faisait ses délices. Bien qu’il s’y essayât, il ne pouvait troquer l’expression arrogante et dure de son visage contre une espèce d’ahurissement débonnaire : quoi, lui, un des vieux ser vidumbres 54 de celui qui menait cette guerre d’Espagne, voilà qu’on l’interpellait méchamment ? Devait-il accepter plus longtemps les suppositions offensantes d’un hobereau de la Langue d’Oc que son auguste maître avait précisément en malveillance.
– Castelreng, tu me dis des choses que j’ignore.
Tout en observant ce coquelet en rupture de bruyère,
Tristan ne perdait pas de vue Orriz, son maître en mauvaiseté. Il ne pouvait se défendre d’une espèce de jubilation en découvrant que celui-ci s’impatientait sans pouvoir se décider à tirer sa lame. Le soleil chauffait. Aux ombres entrevues tout à coup sur le sol, il sut que l’assistance était plus nombreuse encore qu’il ne l’avait souhaitée. Tous ces témoins pourraient attester que l’agression avait été bretonne. Or, qu’elle tardait à venir !
– Pars, Castelreng ! Va pleurer tes Juifs ailleurs.
Autour d’eux, dans un murmure discontinu, le demi-cercle qui s’était rétréci, s’élargit. On attendait les coups, désormais.
– Ces enfants, les avez-vous occis ?
La gorge sèche, les yeux enflammés de toute la haine qui le possédait depuis l’enlèvement de Teresa et de Simon, aggravée par la perte de ses amis et la mortelle orgie
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