Les fils de Bélial
persécutent.
– Certes, fit Calveley, sans émoi. Nous allons devoir nous retrouver un jour ou l’autre, car d’après ce que je sais, le prince de Galles va se déclarer pour Pèdre si celui-ci le lui demande. Toi, Castelreng, à moins que tu ne reviennes en France à ta façon, tu seras toujours avec ces capitaines pleins de jactance que les Anglais et les routiers ont toujours vaincus.
C’était la vérité ; Tristan se contenta d’acquiescer.
– Ignorons-nous dans les prochaines batailles, continua Calveley. À quoi bon nous griéver pour deux méprisables fils de putes. Nous n’aurions jamais dû servir Enrique contre Pèdre car ils sont aussi mauvais l’un que l’autre. Je dirais même que Pèdre est meilleur que son bâtard de frère… Voilà ma philosophie.
– C’est aussi la mienne, dit Tristan.
Calveley et Shirton s’en allèrent. Paindorge apparut, menant les chevaux à la bride. Tristan vit alors que l’aire où il avait triomphé sans plaisir s’était complètement dépeuplée.
– Partons, dit l’écuyer. Pauvres enfants !… Savent-ils seulement que vous les avez vengés ?… Le Ciel des Juifs est-il différent de celui de Jésus ? Y a-t-il là-haut deux poids et deux mesures ? Deux Dieux qui se détestent ou qui vivent en paix ?
Tristan ne sut que répondre. Outre celui d’Ogier d’Argouges, déjà lourd, il portait désormais le deuil de deux innocents. Il trouva sa vengeance mesquine, insuffisante, et se promit de la parachever, Couzic d’abord. L’autre ensuite. Pour celui-là, il se savait enclin à toutes les patiences.
– Merdaille ! dit Paindorge. Voyez qui vient vers nous.
Frère Béranger s’approchait à grands pas, prenant plaisir, comme ordinairement, à entendre tintiller ses éperons d’argent. Une nouvelle croix tressautait à son cou, plus grande que l’ancienne, et l’orfroi s’y était substitué au cuivre. Quant au personnage, sa figure turgide et froide dénonçait un mécontentement dont Tristan se demanda s’il en était responsable.
– Eh bien, Castelreng, êtes-vous satisfait ?… Je viens de quitter Bertrand. Sa fureur est immense.
– Peu me chaut l’humeur de Guesclin. Satisfait de quoi, mon père ?
– Satisfait de quoi ! s’exclama le prêtre.
Il avait levé si brusquement ses bras aux manches retroussées que Tachebrun et Malaquin, effrayés, se livrèrent à une incartade contre laquelle Paindorge n’avait rien pu.
– De quoi ? De quoi ? Mais vous le savez bien !… Vous avez insulté Bertrand et meshaigné deux de ses fidèles. Et pourquoi ? Pourquoi, dites-moi ?
L’accent quelque peu pointu, l’accent de Normandie, vibrait dans cette bouche de bellâtre chargée de dents pareilles à des graviers.
– Castelreng ! Cessez de faire l’innocent !
La face du prêtre, maintenant, exprimait une ire qui parut à Tristan de la même trempe que celle de Guesclin avant que Bourbon ne se fut immiscé dans leur discorde. Sous des sourcils incultes et froncés, les yeux semblaient criblés par des jets d’étincelles ; le menton fort, saillant, tacheté d’un soupçon de barbe brune, tremblait, pareil à celui du Bègue de Villaines quand un mot ou un verbe se refusait à sortir.
– Je ne saurais faire l’innocent, mon père. Vous venez de m’interpeller d’une façon qui me fait songer à un homme qui siffle son chien !
Plutôt qu’un chien, Tristan se sentait harassé comme un nageur après des lieues de brassées. Ses blessures cuisaient et semblaient fermenter. Les mouvements violents qu’il avait accomplis en avaient sûrement disjoint les lèvres. Un fardeau d’ennui pesait sur ses épaules. Faute de respect pour ce clerc qu’il détestait depuis son mariage, il essaya de se montrer distant, mais il était bien loin du détachement qu’il espérait.
– Jamais vous n’auriez dû vous en prendre à Bertrand, à ses hommes et à l’aigle de sa bannière !
– Vous étiez présent ?
– Certes.
– Alors vous avez compris à quelle truanderie appartiennent ses serviteurs.
– Ni plus ni moins pires que moult autres.
– Si la prise de bec vous déplaisait, que n’êtes-vous intervenu ?
– Je voulais savoir jusqu’où vous pousseriez la sottise. Deux Juifs !
« Ça y est !… Lui aussi ! »
Cette observation revigora Tristan. Son cœur et ses poumons se gonflèrent d’un souffle de rancune et d’indignation. Il tenait toujours les yeux
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