Les Fils de France
être livrés !
Ainsi dépourvue, comme dépecée, Anne fut remise aux mains d’un époux dont elle pensait, naïvement, avoir toujours soutenu la carrière et ménagé la fierté... Mais Jean de Brosse, duc d’Étampes, allait se révéler plus opportuniste encore que sa femme ! Et après avoir bénéficié outre mesure d’une situation dont seul aurait pu souffrir son honneur – à condition qu’il en eût, il n’hésita pas à monnayer aux maîtres du jour la punition de celle qu’on lui avait donnée – vendue – pour femme. Le roi Henri voulait qu’Anne fût meurtrie ? Elle le serait, foi de cornu !
Avec une brutalité insoupçonnable chez un être qui, jusque-là, s’était montré plus que discret, le mari légitime de la déchue affecta de venger sa dignité privée autant que la respectabilité commune. Il la traita de fort haut, comme une fille ramassée au ruisseau, et ne lui parla plus – par hommes de loi interposés – que pour lui faire connaître l’étendue de sa vengeance. Déportée, emmurée, frustrée dans ses habitudes et flétrie dans ses moindres goûts, la repentante devrait passer sa deuxième vie à faire oublier la première. Lui refusant la consolation de se retirer sur ses terres de famille, en Picardie, Jean de Brosse fit conduire sa femme en Bretagne, dans une forteresse bonne à garder les criminels.
Le petit convoi, composé de gardiens et de duègnes étrangers au cercle d’Anne, s’ébranla le jour même des funérailles royales.
Elle avait relu, la veille, les adieux que, dix ans plus tôt, le protestant Marot, partant se réfugier à Ferrare, avait adressés à la Cour des dames.
Adieu la Cour, adieu les dames,
Adieu les filles et les femmes,
Adieu vous dis pour quelque temps,
Adieu vos plaisants passe-temps.
Anne, elle le savait, ne partait pas « pour quelque temps », mais sans doute à jamais. Un mois plus tôt, une telle perspective lui aurait semblé inhumaine ; à présent, elle l’acceptait presque avec soulagement.
Adieu les profondes pensées,
Satisfaites ou offensées ;
Adieu piteux département,
Adieu regrets, adieu tourment...
Depuis Limours, on la fit passer exprès par Rambouillet, afin qu’elle méditât sur les caprices du destin. Elle aurait voulu voyager en litière, à son habitude ; mais sous prétexte de hâter la marche, on la contraignit à faire la route en selle, dans le plus grand inconfort, exposée à la vue de tous ceux qui, ameutés par la rumeur, se pressaient sur ses pas comme aux étapes d’un périple officiel.
Parvenant aux abords de Dreux, Anne eut la surprise de reconnaître, fondu dans un groupe de badauds, un visage aimé, et qu’elle aurait bien cru ne jamais revoir. Afin de tromper la garde, cet ami avait revêtu la soutane d’un prêtre ; et la duchesse obtint sans mal le droit de se confesser au bon père...
— Vous êtes mon Cyrénéen 6 ! lui dit-elle lorsqu’ils furent un peu à l’écart.
— J’ai eu tant de peine à vous retrouver !
— Vous aviez donc quelques griefs en reste ?
Gautier de Coisay souriait. Il souriait d’un sourire triste, peut-être, mais sans tache et, vérifiant qu’on ne les voyait pas, déposa rapidement un baiser sur les pauvres lèvres de la belle. Dans l’arbre immense, au-dessus de leurs têtes, chantaient des oiseaux par dizaines.
— Les derniers pinsons de la saison... fit-elle remarquer, amère.
— Ils reviendront à l’automne. Ils ont la vie devant eux !
— La mienne est derrière moi...
Le faux curé la fit taire encore d’un baiser, mais plus long, celui-là, plus doux, plus profond – un baiser éternel.
— Vous devez savoir, reprit-elle après un long moment de silence, que je n’ai pas commis le crime dont vous étiez venu m’accuser jusqu’à Mons...
— Je sais.
— D’ailleurs si je l’avais commis, je ne vous aurais sûrement pas choisi pour en être l’agent...
— Je sais, je sais.
Le visage de Gautier, soudain grave, rassura un peu la duchesse ; elle sentit qu’il aurait pu, de nouveau, lui faire presque confiance.
— Vous reviendrez, dit-il ; et sinon, j’irai vous voir en Bretagne.
— C’est un pays que vous connaissez bien, lâcha-t-elle ironique, en référence à une mission plus que douteuse imaginée, jadis, par l’amiral de Brion.
L’une des suivantes, en véritable geôlière, vint s’assurer que la confession ne s’éterniserait pas. Anne lui fit un signe rassurant, mais
Weitere Kostenlose Bücher