Les Fils de France
imperturbables, à présenter à l’effigie des mets soigneusement cuisinés qui, ne pouvant guère tenter leur destinataire, finissaient dans l’escarcelle des pauvres...
Enfin le 5 mai, après deux semaines d’un tel simulacre, le mannequin fut remisé dans l’attente des obsèques, et le cercueil installé à sa place. La chambre, jusque-là tendue de tapisseries fastueuses, gainée de velours bleu brodé d’or, ornée d’une croix immense et d’un autel portant des tableaux représentant la Vierge et saint François, fut changée en chapelle ardente. Et la foule put rentrer, quelques heures par jour, rendre un ultime hommage à François I er .
Le nouveau roi Henri II – moment unique et solennel – s’y présenta lui-même un beau matin. Portant grand deuil – un manteau pourpre à cinq queues soutenu par les princes du sang – il s’avança vers la bière de son père et, visiblement ému, l’aspergea d’eau bénite.
— In nomine Patri, et Filii, et Spiritu sancti...
À ses côtés, la nouvelle reine pleurait à chaudes larmes. Catherine l’avait tant aimé, ce monarque tendre, lettré, magnifique ! Ce roi passionné d’Italie, entiché des génies italiens... Ce beau-père aimant qui, depuis son mariage à Marseille, quatorze ans plus tôt, l’avait soutenue toujours et protégée contre la méchanceté universelle.
— Mon père vous aimait comme sa propre fille, lui certifia tout bas son mari.
Cette simple phrase eut le pouvoir de les bouleverser tous deux.
Pour Henri, s’astreindre à l’effacement jusqu’à ce que son père eût gagné Saint-Denis ne faisait que flatter un penchant naturel. Ne pouvant paraître aux obsèques solennelles, il avait fait louer, sur le parcours du cortège, une fenêtre assez discrète, mais large et bien placée. Dès le matin du 22 mai, il s’y installa en compagnie de quelques familiers, dont Jacques de Saint-André. La grande sénéchale, assignée aux cérémonies par sa charge de dame d’honneur, n’avait pu se soustraire à ses obligations pour rester près de lui, dans ce moment si important.
Le cortège de deuil du Grand Roy Françoys devait dépasser, en splendeur, tout ce qu’on avait vu. Son interminable défilé s’étendait sur trois lieues 4 entières, et tous les organes du corps social s’y trouvaient représentés en nombre. Plus que de funérailles, cela tenait en vérité du triomphe à l’antique, avec insignes, tributs et tout un déploiement de fastes.
Les premiers à passer – sans le savoir – sous la fenêtre du nouveau roi, rue Saint-Jacques, furent cinq cents pauvres qui, torche en main, ouvraient le convoi funèbre. Le prévôt de l’Hôtel et ses archers, les Suisses de la garde, les deux cents gentilshommes de la maison portant leurs becs-de-corbin, les valets de chambre et de garde-robe, les médecins et chirurgiens, huissiers de la Salle et gentilshommes-servant suivaient en bon ordre.
Venaient après eux les rois et hérauts d’armes, ainsi que vingt-quatre gardes du corps portant, couverts de crêpe noir, les éperons, l’écu, la cotte d’armes, l’armet et les gantelets du roi-chevalier 31 .
Quand, pénétrant dans la rue Saint-Jacques, pointèrent les hauts chariots couverts du drap mortuaire, le jeune monarque sentit une douleur affreuse lui serrer la poitrine. Il se mit à respirer bruyamment, tandis que de grosses larmes tombèrent en pluie de ses yeux...
— Sire, se permit Dinteville, vous ne devez pas être triste. Le feu roi s’en va sans tache, il n’est rien que l’on puisse regretter. Votre père reste un sublime exemple pour vous ; imitez-le plutôt que de le pleurer !
— Ce n’est pas mon père que je pleure surtout, mais ceux qui l’accompagnent.
Car pour la circonstance on était allé chercher à Tournon la dépouille du dauphin François, à Beauvais celle du prince Charles. Ainsi les défunts Fils de France accompagneraient-ils leur père à Saint-Denis, jusqu’au tombeau où reposait déjà la bonne reine Claude – disparue depuis près d’un quart de siècle.
— Pour le dauphin, je l’avais un peu oublié. Pensez, cela fait dix ans et plus ! Mais Charles...
La voix d’Henri se brisa sur le prénom de son petit frère.
— Nous nous aimions bien...
Ses compagnons échangèrent des regards embarrassés. Seul Saint-André osa livrer leur point de vue.
— Vous souvenez-vous, demanda-t-il au roi, de ce jour où, avec Dampierre et La Châtaigneraie,
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