Les Fils de France
le dauphin François et vous-même étiez tombés dans la Charente, et que le bateau s’était renversé sur vos têtes ?
— Si je me rappelle ! lâcha douloureusement Henri.
— La Cour vous croyait perdus, et le roi votre père pensait mourir de chagrin.
— C’est vrai...
Henri s’imaginait que son ami rappelait ces souvenirs pour nourrir son attendrissement. Il n’en était rien.
— Votre plus jeune frère, lui, ne s’alarma guère !
Le roi renifla. Saint-André poursuivit.
— Je crois même pouvoir dire que le duc d’Angoulême s’est senti fort allègre en ce moment précis. Au point de manifester sa déception quand les Suisses vous eurent sauvés.
— Ah oui ?
— J’ai vécu tout cela moi-même ! En apprenant que vous étiez sauvés, le prince Charles s’est tourné vers Tavannes et, d’un ton pincé, lui a dit : « Je renie Dieu, je ne serai jamais qu’un bélître 5 ! »
Le roi demeura coi un moment.
— Le méchant naturel ! jugea-t-il. Dire que c’est à cause de lui, surtout, que je pleurais !
— Il ne le mérite pas, Henri.
— Pourtant... Peu de temps avant sa mort, il m’avait donné son amitié, et juré que nous pourrions gouverner paisiblement ensemble.
Les catafalques approchaient de la fenêtre, précédés chacun de six chevaux noirs, couverts de soie jusqu’aux oreilles.
Saint-André n’en était pas quitte avec la mémoire de Charles.
— Il vous donnait son amitié, reprit-il, et au même instant se liguait avec le prince d’Espagne, dans l’intention vous attaquer après la mort de votre père ! Certains lui en auraient volontiers donné les moyens.
Les hauts catafalques, comme des pyramides roulantes, couvertes de velours sombre, passaient à présent devant la fenêtre.
— Je ne sais plus que penser, soupira Henri.
— Voyez le bélître, se permit Saint-André, qui mène l’avant-garde de votre félicité !
Le roi Henri quitta la fenêtre et, retranché dans l’intérieur de la maison, s’assit sur une escabelle et se posa le menton sur les poings. Ses yeux étaient rouges, encore. Rouges mais secs.
Sur la route...
L a duchesse d’Étampes avait demandé, supplié même, qu’on la laissât assister aux obsèques incognito . Mais « la Vieille » s’y était opposée. Et l’ultime vexation lui fut infligée d’un refus dans les formes. Ainsi, Anne de Pisseleu ne put-elle, autrement que par la pensée, accompagner à sa dernière demeure le seigneur et maître qui, plus de vingt ans durant, avait conduit sa destinée. Certes, l’infidélité légendaire de la maîtresse du feu roi avait pu faire douter des sentiments de cette femme si jeune, si belle et si volage, pour un monarque vieillissant et malade. Elle-même, du reste, n’avait jamais feint l’amour passionné ; même, dans d’innombrables circonstances, elle n’avait pas craint de montrer une lassitude insolente envers son protecteur.
Mais la noblesse de cette femme était justement telle, qu’elle avait osé afficher en public des distances dangereuses pour elle, et gardait dans le secret de son cœur une tendresse, un attachement – pour ne pas dire une forme d’amour – qu’elle n’avait jamais voulu marchander. La mort de François fut pour Anne un malheur intime autant, sinon davantage, qu’une calamité publique. La présence forte et paternelle, à ses côtés, de ce roi dont elle avait épousé toutes les causes, allait lui manquer désormais jusqu’à son dernier souffle ; et maintenant qu’il n’était plus là, dans son cou, pour quêter ses baisers ou railler ses travers, elle obtenait confirmation qu’il avait été, d’évidence, et demeurerait à jamais, au-delà d’aventures et de foucades sans lendemain, l’homme de sa vie.
Si la duchesse versait beaucoup de larmes sur sa position à la Cour et sur son train de vie luxueux, la perte qu’elle venait de subir était, elle, au-delà des larmes... Aux duretés d’un tel deuil vinrent malheureusement s’ajouter les humiliations sans fin dont Diane de Poitiers prit soin à l’assortir. On lui réclama, jusqu’au dernier ferret, les joyaux dont la Couronne avait semé ses parures ; on lui reprit ses châteaux, ses hôtels, ses fermes et jusqu’à des pensions mineures. On exigea la restitution des présents diplomatiques, y compris de petits animaux devenus familiers... On la dépouilla sans pitié, au point de réclamer certains métrages d’étoffe qui venaient de lui
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