Les Fils de France
sur le cœur, mon royaume vous est grand ouvert, comme vous l’ont dit et prouvé, sans doute, mes propres fils.
— Mon cousin, répondit Charles, je m’en suis remis à vous de ma sûreté ; seuls quelques-uns de mes gentilshommes m’accompagnent.
Comme dans toutes les villes traversées depuis Bayonne, l’entrée de l’empereur s’était faite selon un protocole réglé. Le connétable ouvrait la marche, dans une robe de drap d’or et sur un cheval caparaçonné de parements d’or, l’épée nue à la main ; l’empereur vêtu de noir chevauchait derrière lui, sous un dais surmonté de l’aigle ; il avait le dauphin à sa droite et, de l’autre côté, le duc d’Orléans.
Des festivités populaires étaient prévues par ailleurs, mais la Cour n’y assista pas ; ses propres réjouissances se déroulaient en effet à l’intérieur de l’enceinte royale.
Simon avait conservé assez de connaissances dans l’entourage du roi et des Fils de France, pour accéder sans trop de peine aux quartiers de la Cour. Il se mit en quête de son frère Gautier, que tout le monde paraissait avoir vu sans pouvoir le localiser.
— Gautier de Coisay ? Je l’ai croisé ce matin du côté du fort Saint-Ours.
Certains étaient même plus précis.
— Ton frère Gautier, mon vieux Simon, il est en ce moment avec l’infante Jeanne chez le roi, aux salles neuves !
Depuis qu’il avait quitté Lyon, rhabillé de neuf, pour gagner la Loire à Roanne – suivant un trajet qu’avait suivi, dans l’autre sens, Montecucculi jusqu’au supplice – Simon s’était interrogé sur le bien-fondé d’aller retrouver son frère ; et d’autant plus que la grande sénéchale, dans son insistance à les réunir, lui laissait redouter le pire. Mais en même temps, l’envie de renouer ce lien si important pour lui, si nécessaire même, n’avait cessé de le tarauder depuis l’affreux épisode de Poitiers 4 .
Soudain Gautier sortit, suivi d’un ami du dauphin. Simon, à présent tétanisé, ne trouva pas la force de se précipiter vers lui. Au contraire, il se cacha lâchement derrière un fort pilier où il resta, transi, jusqu’à ce que Gautier eût disparu de nouveau.
Alors Simon, le cœur battant, gagna la porte royale et s’éclipsa vers la ville grouillante... Il n’avait pas eu le courage d’aller au bout de sa tentative.
Château de Fontainebleau.
L e cortège impérial atteignit Fontainebleau peu de jours avant la Noël. Charles Quint, toujours en deuil, et montant un cheval noir harnaché de sombre, chevauchait dans la compagnie des Fils de France. À l’approche de cette énième halte royale, surgit des fourrés une troupe de musiciens et de danseuses travestis en dieux et déesses du bocage. Les gardes espagnols, surpris, tirèrent l’épée, et furent un moment avant que le connétable ne les eût rassurés tout à fait : l’animation faisait partie des réjouissances offertes par le roi de France...
L’empereur, soupirant, échangea un regard entendu avec le duc de Najara : toutes ces surprises, censées l’amuser, l’exaspéraient en fait au plus haut point. Et ce n’était, assurément, qu’un début... De fait, à peine eut-on entamé la chaussée conduisant à la porte d’Orée – tellement inspirée du palais d’Urbino – que des musiciens prirent le relais pour un concert champêtre balayé, dès l’entrée de la cour du Donjon, par le roulement des tambours et la sonnerie de grandes trompes. Fastes. Splendeurs. Encore et encore...
— Vous êtes le seul souverain de ces lieux ! lança, magnifique, le roi François en accueillant son invité dans la superbe galerie de l’étage, achevée juste à temps par Le Rosso et son atelier.
Plus que les boiseries étourdissantes et les stucs richissimes, ce sont les belles fresques ornant les lieux qui plurent à Charles Quint. Elles lui arrachèrent même des cris d’admiration qui, pour une fois, n’étaient pas forcés. L’empereur voulut s’attarder devant plusieurs compositions et, notamment devant celle figurant l’éducation d’Achille par Chiron. L’on reconnaissait sans peine le dauphin Henri sous les traits du disciple, et derrière ceux du maître, à peine changé, le visage immuable et large du connétable.
— C’est bien vous, là ? fit mine d’interroger l’empereur.
Montmorency avait dû préparer sa repartie.
— Le haut seulement, sourit-il.
Car Chiron était un centaure ! L’empereur passa
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