Les Fils de France
lettre l’idée qu’avait eue sa fille.
Soudain, des paysans qui fumaient des branchages aperçurent la litière et, pleins de bonnes attentions, accoururent. L’escorte s’interposa mais Diane, soucieuse toujours de l’exemple qu’elle donnait à Louise, voulut qu’on ouvrît grand les rideaux pour les saluer et leur jeter des piécettes. Par un accès de dignité qui toucha la jeune fille, les laboureurs attendirent, pour les ramasser, que le convoi se remît en route ; tenant leurs bonnets dans leurs mains, ils s’inclinaient sans cesse devant leur maîtresse, montrant bien qu’ils l’avaient reconnue – ou tout au moins, identifiée.
Le lendemain, Louise se rendit sur le tombeau de ce grand-père qu’elle avait peu connu. Diane ne put l’y accompagner aussi vite ; elle avait trop à faire avec les notaires et les hommes de loi qui, dès son arrivée, l’entretinrent de la succession. Elle mit, à défendre les intérêts de sa partie contre ses intendants, contre ses métayers, contre les communes franches de son fief et – en fin de compte – contre ses propres frères et sœurs, une hargne et une passion telles que sa fille en fut édifiée.
Diane de Brézé décida, ce jour-là, qu’elle reprendrait le titre de son père et signerait désormais : Diane de Poitiers.
Chambord.
L e roi François aimait tant la chasse que, surmontant la douleur, il s’efforçait presque chaque jour de se mettre en selle et à tenir ainsi plusieurs heures à cheval. Dans la « petite bande » qui l’accompagnait, personne n’ignorait les évolutions de l’abcès royal ; et selon l’avis des médecins, l’on adaptait la chasse, quitte à l’écourter au besoin... Ce jour-là, Brissac avait opté pour le haut vol – une chasse au gerfaut, physiquement moins exigeante que d’autres. En vérité, la sortie ne s’était révélée qu’un dérivatif ; et quoiqu’il fût tôt encore, on remontait déjà vers le logis.
Parmi les chasseurs, la moins assidue n’était pas la dauphine Catherine que son époux Henri, parti au-devant de l’empereur, avait laissée avec la Cour. Sa finesse d’esprit, sa constante bonne humeur, sa résistance physique aussi, avaient fini par l’imposer comme un pivot de ces chevauchées quotidiennes.
— Sire mon père, dit-elle, admirez, je vous prie, le point de vue sur Chambord ! Le chef-d’œuvre de Léonard paraît achevé, vu d’ici.
— Il l’est quasiment, dit le roi, en tirant sur ses brides pour venir se placer à hauteur de sa bru. Il faut bien qu’il le soit pour recevoir l’empereur dignement.
Les autres chasseurs avaient fait halte ; mais ils manifestaient moins d’intérêt que la dauphine pour cette architecture nouvelle, un peu trop hardie à leurs yeux.
— C’est très beau, n’est-ce pas, Catherine ?
— Sire, c’est au-delà des mots. L’on dirait l’Empyrée de Dante... Ces tours rondes agrégées, ces croisées alignées en rythme, cette forêt de hautes cheminées... Ce bâtiment est un navire en suspens, dans lequel tiendrait tout un port !
François jeta vers la petite Médicis un regard fier et ravi.
— Voyez-vous, messieurs, déclara-t-il en relançant son cheval, vous avez là toute la différence entre notre France et son Italie. Entre Blois et Florence ! Ici aussi, nous savons construire de grandes choses ; seulement nous ne savons pas encore en parler !
Pendant le débotté qui, à chaque retour de chasse, voyait les gentilshommes se bousculer pour l’honneur de retirer ses cuissardes au monarque, le vieux duc de Guise, un prince lorrain pénétré de l’importance de sa maison, fit rouler le propos sur sa fille, Marie. Elle venait d’épouser le roi d’Écosse Jacques V. C’était un sujet douloureux pour François, la petite Guise ayant tout bonnement pris la place de sa fille défunte, la princesse Madeleine.
— Je prie tous les jours Dieu qu’elle soit bientôt grosse, dit le duc Claude.
— Son mariage est encore bien récent... fit remarquer le roi.
— Mais il est besoin d’avoir une lignée en Écosse ! objecta l’autre, non sans cruauté.
Car ce besoin-là se faisait sentir en France plus qu’ailleurs, et la présence au débotté de la dauphine, toujours inféconde après six années, conférait à une telle remarque des résonances assez pénibles. Sans compter que tout le monde, à la Cour, avait eu vent depuis longtemps de la bonne fortune du dauphin, et de la naissance, à
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