Les Fils de France
capture de son fils, elle avait, seule, tenu le royaume à bout de bras depuis ce cloître et ces terrasses.
Diane avait été sa dame d’honneur ; elle évoqua le souvenir de cette figure hors du commun, lors d’une promenade à travers les jardins, dans le soleil doré du soir.
— Madame cultivait au plus haut point ce que, nous autres femmes, sommes peu nombreuses à posséder : le sens concret des puissances. Elle savait, d’un regard, jauger la force ou la faiblesse d’un sujet, d’un ministre, d’un souverain. Elle avait, présents à l’esprit, tous les aspects d’une situation ; elle n’avançait jamais un mot sans en avoir pesé les éventuelles conséquences, et parlait toujours pour être entendue à un double – parfois triple – degré.
Louise de Brézé fronça les sourcils.
— N’étiez-vous pas à Rouen avec nous, du temps de Pavie ?
— C’est vrai. Mais j’ai si bien connu la régente que je l’imagine sans peine au sein de ces rosiers !
Les ombres, fort longues, de la mère et de la fille, se rejoignaient par instant.
— Et vous aimeriez, à l’occasion, jouer le même rôle qu’elle...
— Ces occasions ne se présentent pas souvent.
Diane souriait intérieurement de l’étrange pertinence dont sa fille donnait constamment des preuves. On leur fit savoir qu’un ancien écuyer, nommé Simon de Coisay, avait eu vent du passage à Lyon de la grande sénéchale, et qu’il la « suppliait humblement » de le recevoir. Avant que Diane ait eu le temps de répondre, l’importun était dans le jardin, genou à terre.
— Madame, un moment seulement !
— Eh bien Coisay, mais... Que vous est-il arrivé ?
Simon, de fait, n’était plus que l’ombre de lui-même. Une mine effrayante, des habits élimés, l’air traînant d’un vagabond trahissaient chez lui la plus complète déchéance.
— Madame, les temps sont rudes pour votre serviteur.
— Avez-vous revu votre frère ?
— Non, madame. J’aimerais le voir ; mais je n’ai plus de cheval, plus de tenue décente... Je ne saurais même pas où le trouver. Aidez-moi, madame, s’il vous plaît !
La sénéchale ne voulait surtout pas paraître insensible aux yeux de sa fille. Arborant son sourire le plus doux, elle releva Simon et lui fit remettre une bourse dodue.
— La Cour entière doit bientôt accueillir l’empereur à Loches, lui révéla-t-elle. Même l’infante Jeanne sera de la fête. J’imagine donc que M. de Coisay y sera aussi. Ne lui dites pas qui vous en a prévenu.
Diane espérait la réconciliation des frères, afin de pouvoir se servir du plus jeune pour se venger un jour de l’aîné... Du reste, il y avait tant d’ironie dans son regard, que le bénéficiaire de ses soudaines largesses n’en ressentit presque aucune gratitude.
Aux confins du Dauphiné, déjà presque en Provence, le vieux château de Saint-Vallier dressait sa curieuse silhouette sur une éminence en surplomb du bourg, au confluent du Rhône et d’un cours d’eau baptisé la Galure. Ancien monastère, il était devenu château fort quand des ancêtres de Diane avaient bâti ses hautes tours et ses défenses.
— Je regrette, dit la jeune Louise de Brézé, de n’être pas venue ici avant mes dix-neuf ans. Et quant à ma sœur...
— Les circonstances ne s’y prêtaient pas, laissa tomber Diane en penchant la tête hors de la litière pour tenter d’apercevoir les tours familières.
Tout en cheminant, elle faisait sa correspondance.
— Notre dauphine Catherine est bien malheureuse, dit-elle à Louise qui ne perdait rien du paysage.
— Comment cela ?
— Elle maudit ce ventre incapable de donner un petit-fils au roi.
— Après sept ans de mariage, concéda Louise.
— Six ans tout juste. Mais il est vrai que la venue au monde d’une enfant naturelle rend délicate la position de notre cousine... Toute la faute, désormais, reposera sur elle.
La jeune fille détourna un instant les yeux du paysage pour regarder filer la plume de sa mère sur le beau papier blanc.
— Et vous la consolez ?
— Je fais ce que je peux... Je lui dis de prendre son mal en patience. Je l’assure de mon entier soutien auprès du dauphin. Quant au roi...
— Si j’étais elle, dit Louise, je me jetterais aux pieds de Sa Majesté et remettrais tout mon avenir entre ses mains. Le roi est bon, il pourrait comprendre...
— Mais oui, dit Diane. Votre conseil est avisé, ma fille.
Et elle traduisit dans sa
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