Les Fils de France
duc d’Orléans.
— Votre fils est un jeune homme fort agréable et de beau maintien, répondit l’empereur, un peu froissé de cet échange imprévu. Il ne serait pas mauvais, nous semble-t-il, d’envisager son mariage avec doña Maria...
— Oh, ce serait la meilleure des choses ! s’enthousiasma la reine Éléonore qui, pour une fois, sortait de son extrême réserve politique.
Pour compléter ce chœur de dames, la reine de Navarre qui, toujours à l’affût, s’était penchée par-dessus son frère pour contempler la bague offerte à la duchesse, approuva chaudement.
— Et pourquoi pas, lança-t-elle, unir ma fille, l’infante Jeanne de Navarre, à votre fils don Philippe ?
— Pourquoi pas, en effet ? approuva l’empereur, de plus en plus dépassé par le tour – bien trop ouvert et libre à son goût – de la conversation.
— Laissons l’empereur passer la Noël en paix, intervint heureusement François.
— Oui, joyeux Noël ! dit la reine.
Le roi retint par le bras un laquais qui passait.
— Dites-moi : vous n’auriez pas de fille à marier ? demanda-t-il.
Un tonnerre de rires fusa, auquel l’auguste convive, en dépit de sa bonne volonté, eut toutes les peines du monde à souscrire.
L’étape de Fontainebleau tira un peu en longueur, afin de laisser aux Parisiens le temps de préparer l’entrée inoubliable qu’ils réservaient à Charles Quint. Celui-ci bouillait sur place, impatient qu’il était d’aller en découdre avec ses mauvais sujets de Gand... Pour tromper son attente et plaire à son hôte, il accepta plusieurs fois d’aller courre le cerf, dans une forêt, du reste belle et giboyeuse. Les jeunes princes accompagnaient alors les souverains ; et si Henri, réservé de nature, se montrait de surcroît méfiant à l’égard de l’empereur, le bouillant Charles, en revanche, s’était pris pour cet invité austère d’une sympathie d’autant plus vive qu’elle n’était pas désintéressée.
— Je crois que l’empereur m’aime bien, se vantait-il à la cantonade.
Un jour qu’ils avaient donné la curée du côté du Prieuré, l’on vit le jeune intrépide approcher sa monture blanche très près, trop près assurément, de la cavale noire de l’empereur. Les gardes espagnols n’osèrent s’interposer. Alors le prince, oubliant toute réserve – pour ne rien dire de la politesse – sauta du cheval blanc sur le noir, et entourant le souverain de ses bras, se mit à lui crier dans les oreilles.
— Sire, rendez-vous, vous êtes mon prisonnier !
Les chasseurs français rirent de bon cœur, et le jeune Orléans, tout fier de son bon tour, s’en frappa les cuisses. Mais les observateurs impériaux notèrent que leur maître avait blêmi. Pire : Charles Quint, de surprise et d’indignation, n’avait pu retenir un tremblement qui, chez lui, n’annonçait vraiment rien de bon.
— Il me faudra donc boire le calice jusqu’à la lie, devait-il confier, dans la soirée, à son confesseur.
— Sire, convint le prêtre, ces gens se comportent comme de parfaits sauvages.
Route de Valenciennes.
L oches, Chenonceaux, Blois, Chambord, Cléry, Orléans, Fontainebleau, Vincennes, Paris, Ecouen, Chantilly, Saint-Quentin... Après deux mois ininterrompus de fêtes, de festins, d’entrées solennelles, de bals de cour, de réjouissances plus ou moins publiques et de cavalcades à peu près aussi spontanées que les processions de la semaine sainte en Andalousie – sans compter les chasses, les visites, les promenades, les soupers, les concerts et les présentations diverses – l’empereur Charles, épuisé au-delà de l’exprimable, voyait arriver sa libération avec une joie sans mélange.
Il avait, à Saint-Quentin, embrassé chaleureusement le roi François pour des adieux dignes de frères aimants. À Valenciennes, il entrerait dans ses États, et pourrait enfin s’estimer dégagé de ce peuple attachant, sans doute, mais démonstratif au-delà de toute raison. Il serait enfin libre de gagner, à marche forcée, cette cité de Gand où son autorité, un temps bafouée, allait pouvoir s’abattre avec une implacable dureté, donnant à voir à l’Europe ce qu’il pouvait en coûter, à des sujets dévoyés, de défier la puissance du premier souverain de la Terre.
— Vous devez afficher là-bas une férocité très grande, et ne surtout montrer aucune humanité.
Ces beaux conseils étaient du connétable de Montmorency qui, dès
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