Les Fils de France
vint chercher sa promise assez loin dans l’allée ; et sans attendre, il lui passa au doigt une pierre de dimensions étonnantes. Jeanne ne réagit pas plus que s’il lui avait remis un morceau de nougat... Montmorency, qui se trouvait près de là, entendit même l’infante marmonner des mots déplaisants.
Or, feignant d’être entravée par ses jupes trop lourdes et par son encombrant manteau, Jeanne s’immobilisa. Un frémissement parcourut l’assistance.
— Qu’attend-elle ? demanda le roi François d’une voix un peu trop forte.
Le cardinal de Tournon eut un étourdissement ; il dut se tenir à l’autel pour garder son équilibre. Henri d’Albret fit signe à sa femme d’entraîner leur fille ; Marguerite esquissa donc le geste ; mais elle se fit rabrouer méchamment. Et cette fois, la Cour murmurait.
— Il suffit, décréta le roi en remontant de quelques pas dans l’allée.
Avisant soudain le connétable, il le héla comme un valet.
— Eh bien, que ne la portes-tu ? ordonna-t-il du ton le plus désinvolte.
Montmorency sentit bien que le monde, autour de lui, s’écroulait sans appel. Indigné, le souffle court, il ne vit pas comment échapper à ce commandement. Alors il s’approcha de l’infante Jeanne, la prit de force dans ses bras et, comme une poupée désarticulée, la conduisit péniblement jusqu’à l’autel, jusqu’aux pieds de Tournon, l’ennemi dont il était devenu, sur un mot – aux yeux de tous – le serviteur ! C’était à hurler...
Le chef vaincu venait de livrer au vainqueur le tribut de sa victoire. Ainsi, non seulement ce mariage allait sceller la fin de l’ère Montmorency, mais elle marquerait la date de son retrait définitif de la cour de François I er .
1 - On ne disait pas, alors, « beau-frère » ou « belle-sœur ».
2 - Mme de Bourdeilles était la mère du fameux Brantôme.
3 - Il s’agit d’une assemblée souveraine à laquelle étaient soumis certains actes importants des rois de Navarre.
4 - Circonstance.
5 - Trompette.
Chapitre VII
La Joute des dames
(Hiver 1542-1543)
Forteresse de Nérac.
U ne pluie drue, incessante, transforma l’arrivée du roi de France chez sa sœur en une scène de sauvetage ; on eût dit que la longue caravane des cavaliers, des litières et des chariots, détrempée, n’avait fait cette halte que pour échapper au déluge. La reine de Navarre, indisposée, n’avait pu trouver la force de se lever ; et c’est François qui dut venir à sa rencontre, tout ruisselant encore, mais heureux.
— Plus nous vieillissons, dit-il, et plus j’ai de joie à vous revoir.
— Comment pouvez-vous trouver des degrés dans un tel bonheur ?
François embrassa Marguerite. Pour lui, l’automne s’était révélé désastreux. Installé à Narbonne, dans un camp de l’arrière où l’avait accompagné la Cour, il avait suivi, de loin, les sièges menés par les Fils de France devant Perpignan – pour le dauphin – et Luxembourg – pour Orléans. Cette dernière place, grâce aux conseils du duc de Guise et de son fils, François d’Aumale, avait fini par se rendre. Mais le prince Charles, alerté par la duchesse d’Étampes, n’avait pas voulu laisser à son aîné tout le mérite d’avoir fait tomber Perpignan ; il avait donc quitté le Nord pour accourir au Midi.
Las, il était arrivé trop tard. Le dauphin peinant devant Perpignan, et s’y embourbant avec ses compagnons, Charles de Brissac et Jacques de Saint-André en tête, avait reçu l’ordre – prématuré à son avis – de sonner la retraite. Pour mettre un comble au désastre, on avait finalement appris qu’à Luxembourg, l’ennemi tirant parti du départ de Charles, avait repris la place – c’était donc un échec sur toute la ligne.
Le dauphin, persuadé que la présence de Montmorency aux commandes aurait tout changé, n’en finissait pas, par ailleurs, de pester contre la favorite, qu’il rendait nommément responsable de son retrait prématuré. Le roi, de son côté, bien chapitré par la dame, en voulait beaucoup à Henri qu’il envoya, séance tenante, expier ses fautes en Piémont.
Là-dessus, la nouvelle arriva qu’à l’Ouest, plusieurs places dont La Rochelle, profitaient du désordre ambiant pour se rebeller contre la gabelle. Le roi voulant profiter d’une rémission de son mal, et prenant Charles avec lui, voulut aller mater cette révolte lui-même.
C’est sur le chemin de l’Aunis qu’il
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