Les Fils de France
Lafayette.
Jeanne ne releva pas. Quant à Marguerite, elle souffrait d’avoir à jouer un double jeu...
Par précaution, elle n’avait pas mis l’intéressée dans la confidence. Il valait mieux, pour que Jeanne fût crédible, qu’elle ignorât tout des plans de ses parents. Aussi Marguerite lui avait-elle caché sa congestion récente, et sa demi-cécité. Elle feignait, comme son mari, d’avoir pris son parti d’une alliance d’abord redoutée ; même, elle était allée jusqu’à menacer sa fille de la faire fouetter si elle résistait !
Autant dire qu’elle prenait le risque, en cas de mort prématurée, de passer pour marâtre aux yeux de la postérité et – pis encore – de sa propre fille. Comment Jeanne aurait-elle pu deviner tout cela ?
— Je me sens si seule, ce soir ! gémit l’infante.
— Cessez un peu de vous lamenter sur vous-même, gronda Marguerite ; après tout, nous avons obtenu, votre père et moi, que le mariage ne soit pas consommé tout de suite...
— Il le sera plus tard !
Le regard brouillé de l’infante foudroya celui de sa mère dans le miroir vénitien.
— Et je sais que ce n’est pas vous, ni mon père d’ailleurs, qui avez obtenu ce pis-aller ; c’est mon oncle lui-même.
— C’est votre oncle, mais à notre demande...
Cette fois, Jeanne ne se gêna pas pour hausser les épaules. Marguerite, blessée, esquissa le geste de la gifler.
Quatre seigneurs, vêtus trop sobrement pour se confondre avec les convives, entrèrent à ce moment dans la chambre. Marguerite fit semblant d’en être surprise – mais en vérité c’est elle qui, par l’entremise d’Aimée, avait soufflé cette initiative à sa fille.
— Je vais dicter, devant ces témoins, ma rétractation 22 dans les formes, asséna l’adolescente.
— Vraiment, est-ce bien raisonnable ? affecta de s’inquiéter la mère, fière en son for intérieur de la pugnacité de Jeanne.
— Eh bien non, ce n’est pas raisonnable. Mais c’est absolument nécessaire. Êtes-vous prêt ? demanda-t-elle au secrétaire qui, déjà, trempait sa plume.
Marguerite s’écarta pour sourire à son aise ; sa fille dicta.
— Nous, Jeanne d’Albret, infante de Navarre, tenons à déclarer devant témoins que le consentement que nous donnerons ce soir nous a été arraché par force et contrainte et qu’il est donc vicié dans son principe...
— Après « devant témoins » ? demanda le secrétaire, perdu.
L’adolescente souffla, secoua la tête ; pourquoi fallait-il qu’elle fût seule, seule à se battre contre la terre entière ?
C’est entre son père, le roi Henri, et sa mère, la reine Marguerite, et suivie de seigneurs et de dames de la cour de Navarre, que Jeanne fit son entrée sous le pavillon nuptial. Le bal venait de s’achever et l’assistance, tant française qu’allemande, cessa de bavarder. Mais le silence ne s’installa pas vraiment. Comme Jeanne, à peine plus présente que lors des présentations au Plessis, ne faisait guère d’efforts pour se rapprocher de son époux désigné, le roi François n’hésita pas à s’avancer vers elle ; la prenant alors par la main, il la conduisit jusqu’au duc de Clèves qu’il empoigna de l’autre côté. Il les tenait ainsi tous deux, mais ne prit pas le risque de réunir leurs mains...
— Ma nièce, dit-il au duc, n’est pas seulement une belle jeune fille ; elle apprécie, comme sa chère mère, la poésie et la musique...
— Fort bon, répondit le duc de Clèves dans son français approximatif.
Jeanne affectait de les ignorer tous deux : un semi-sourire figé aux lèvres, elle donnait le sentiment d’une folle déguisée en princesse, et qu’on eût lâchée dans une réception pour en amuser l’assistance. Du reste, le public avait senti que l’événement ne serait pas pleinement vécu ; et déjà les conversations reprenaient leur train.
— Jeanne, vous pourriez peut-être dire quelque chose, s’impatienta François.
— Fort bon, dit-elle.
L’oncle comprit qu’il n’en tirerait rien. Il les mena donc, tous deux, vers le cardinal de Tournon, chargé ce soir-là de recueillir les consentements en prévision de la cérémonie du lendemain. Le fiancé se prêta de bonne grâce à la formalité, et quand le prélat lui demanda s’il voulait prendre Jeanne pour épouse, répondit bien nettement.
— Ja wohl !
C’est ensuite que les choses se gâtèrent...
— Et vous, madame Jeanne,
Weitere Kostenlose Bücher