Les Fils de France
s’était ménagé cette halte à Nérac.
Quand la pluie cessa, la beauté du site put apparaître aux visiteurs. Du dehors et d’un peu loin, la silhouette imposante de la forteresse occitane, avec ses quatre logis massifs, fichés de tours rondes, tout hérissés de défense, faisait songer aux plus sévères bâtisses médiévales. Mais à mesure qu’on approchait, se découvrait une demeure gracieuse en vérité, et même assez riante. La cour intérieure, notamment, était agrémentée d’une belle galerie ouverte, toute en hauteur, que supportaient des colonnes torses.
C’est là que François, s’occupant de sa sœur malade avec des soins inédits jusque-là, avait conduit Marguerite pour une courte promenade, dans la lumière dorée de cette fin d’automne.
— Est-ce encore cette congestion qui vous fait des misères ?
— Mais non, c’est oublié, tout ça ! J’ai même retrouvé l’usage de mon œil !
— Alors, qu’avez-vous donc ?
La reine de Navarre rougit, se troubla ; son frère le sentit.
— Ne me dites pas que vous êtes allée contracter quelque maladie honteuse...
La supposition, plus qu’offensante, était ridicule ; et Marguerite choisit d’en rire franchement. Appuyée au muret de la galerie, elle emplissait ses poumons du bon air armagnac.
— Mais alors ? insista François.
— Mon frère, je « souffre » d’un mal qu’on avoue volontiers à vingt ans, mais qu’à cinquante, on aimerait pouvoir cacher.
— Vous voulez dire...
Marguerite opina du chef : elle était enceinte.
— Vous me surprenez, je l’avoue... Ce n’est pas dangereux, au moins ? s’enquit François, décidément plein de sollicitude.
— Mes médecins m’affirment le contraire, le rassura sa sœur.
Il la serra dans ses bras – mais avec des précautions redoublées.
— C’est Jeanne qui va être surprise !
— Oui... Peut-être, bientôt, ne sera-t-elle plus infante...
Dire que cette grossesse, tellement inattendue, allait de nouveau brouiller la situation de sa fille ! Marguerite était sur le point de lui avouer quel calcul elle avait dû faire, l’année passée, quant au mariage de Châtellerault.
Mais déjà le roi Henri venait à leur rencontre. Il embrassa son épouse avec une douceur qui fit plaisir à François.
Le chef de la maison d’Albret venait de préparer Navarrenx 1 à quelque siège improbable, dans l’espoir d’une campagne menée de concert avec son beau-frère contre l’empereur et roi d’Espagne – l’échec de Perpignan ayant, une fois encore, tout remis en cause.
— Croyez-vous, demanda-t-il quand tous trois furent installés devant un bon feu, que je recouvrerai un jour ce royaume perdu par mon père ?
— Mais oui ! dit le roi de France d’un air peu convaincu.
Il se tourna vers sa sœur.
— Vous devriez peut-être aller vous recoucher... Dans votre position...
Les dames d’honneur, quand elles entendirent ce conseil, émirent un petit rire complice.
C’était un bien curieux secret, au fond, que celui de Nérac...
La veille de Noël, Gautier de Coisay, qui avait suivi la reine de Navarre dans sa retraite occitane, fit un long périple à cheval parmi les coteaux d’Armagnac. Il songeait à la duchesse d’Étampes, qu’il avait revue brièvement, deux fois, et dont le regard si franc, dont le sourire si vrai, l’avaient comme irradié. Lors de la dernière entrevue, elle lui avait lancé une invite à peine déguisée – se pouvait-il, se demandait le modeste écuyer, que la maîtresse du roi de France eût jeté sur lui son dévolu ? Question naïve, en vérité, et Gautier le savait – mais la naïveté n’était-elle pas son génie propre ?
Alors qu’il remontait vers la forteresse, il remarqua, attaché au bord d’un chemin, un assez beau coursier dont le cavalier, de toute évidence, était grimpé sur le talus pour satisfaire à la nature. Gautier n’y aurait guère prêté attention, si la proximité de la demeure n’avait laissé deviner sa destination... Quelque voyageur attiré par la messe de minuit au château ? Il allait être déçu : la cour de Navarre n’entretenait ni chœur, ni maîtrise ; les messes y revêtaient la rigueur d’un office luthérien.
Soudain, alors que Gautier dépassait le joli cheval bai, son regard fut comme accroché par le monogramme brodé sur son tapis de selle. Un S , un C ... Son cœur se serra. Au même instant, le cavalier dévala le talus, puis
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